vendredi 20 avril 2018

De la Thaïlande à Valence, les rhums O'Baptiste

À l'origine de la distillerie O'Baptiste, il y a la malterie artisanale Malteurs Echos. Baptiste François est l'un des fondateurs de cette coopérative qui promeut une production Bio et locale. Son souhait est notamment de développer l'investissement des acteurs de la filière (brasseurs, distillateurs...) dans une démarche artisanale, et de contribuer à une économie sociale et solidaire en se faisant aussi chantier d'insertion.

La distillerie est née en 2016 et travaille principalement des eaux-de-vie de malts, de bière, une vodka et un gin. Baptiste n'est pas forcément un grand connaisseur de rhum, mais il apprécie les rhums agricoles et s'y intéresse plus particulièrement depuis l'émergence du Bio dans les eaux-de-vie de canne. C'est donc avec un esprit libre, sans préjugé sur ce à quoi le rhum devrait ou ne devrait pas ressembler, qu'il élabore ce rhum de mélasse dont le style prendra forme au gré des distillations et des expériences de vieillissement.

Lorsque l'envie de faire du rhum lui est venue, il a dû faire une entorse à son principe de distillation de produits uniquement locaux, mais n'a pas sacrifié celui de faire du Bio. C'est donc une mélasse Bio de Thaïlande qui est à la base de ce qui deviendra le rhum "Humble", qui a aujourd'hui à peine un an d'existence.

Les premiers retours d'amateurs ont souvent évoqué un style plutôt Jamaïcain et on va vite comprendre pourquoi :

La fermentation se déroule sur 2 semaines minimum, à l'aide de levures spécialement élaborées pour le whisky. Les mêmes levures sont utilisées pour l'ensemble de ses produits, afin d'avoir une cohérence entre eux, quelque chose qui les relie. Ces levures sont sans OGM et il est actuellement à la recherche de levures Bio, en attendant de cultiver ses propres levures. 

Il ajoute un peu de vinasse (résidu des précédentes distillations), à hauteur de 15%, pour booster l'acidité, tout ce dont les petites levures ont besoin pour développer un maximum d'arômes (pour plus de détails sur le fonctionnement de ces petites bestioles, je vous invite à lire cet ancien article sur le grand arôme / high ester).


La distillation se fait sur un alambic en cuivre de type Cognaçais d'une capacité de 400 Litres. À l'issue de la première passe, le brouillis sort entre 32 et 34%. Au deuxième passage dans l'alambic ("la bonne chauffe"), le distillat est en moyenne à 70%.


Le rhum blanc mature ensuite pendant un bon mois avant la réduction à 45% qui se fait sur quelques jours. Une partie du rhum à 65 ou 70% est placée dans des fûts neufs en acacia de 50 Litres, légèrement toastés. Il y passe alors au moins 3 mois, cette durée étant vouée à s'allonger à mesure que la distillerie augmentera sa production. À l'issue de ces 3 mois environ, il est enfin réduit au même niveau que le rhum blanc, soit 45%.

Notons qu'aucun additif n'est utilisé, que ce soit lors de la fermentation, au moment de la distillation, ou après, c'est-à-dire qu'il n'y a ni sucre, ni glycérine, ni arômes...etc.

Bon, c'est pas tout ça, mais quand Est-ce qu'on goutte ? Eh bien allons y !

O'Baptiste - Humble Blanc - 45%
Pure Single Rum

Au nez, il se passe énormément de choses ! On ne trouve pas immédiatement les repères habituels du rhum, affolé par les arômes défilant sous le nez à toute vitesse. Le dégustateur va cependant vite se poser, ainsi que le rhum qui va commencer à montrer son versant végétal. C’est un végétal résineux et fumé, capiteux, qui prend forme sous le nez. Comme des aiguilles de pin tombées au sol et humides, ou encore du romarin cuit. On reste d’ailleurs dans la cuisson et la cuisine avec une bonne pincée de poivre qui chatouille les narines, et quelque chose de très animal, comme de la charcuterie fumée. On imagine alors sans mal le saucisson roulé dans des herbes aromatiques. Quelque chose de lactique s’échappe aussi, on oserait presque aller jusqu’au fromage.

L’aération confirme le fait que ce rhum a bénéficié d’une fermentation très profitable. L’olive caractéristique entre en scène, accompagnée de citron confit au sel. La puissance est de mise, mais surtout la concentration, le rhum foisonne et ne cesse de s’exprimer. On retrouve peu à peu les traces connues du rhum, tout en conservant une personnalité forte. C’est au tour des épices d’apporter quelque chose de plus pétillant, léger et craquant. C’est toujours une grosse machine qui ronronne en arrière plan, la bête est impressionnante d’énergie, de sauvagerie contenue.
Avec le temps, on oublie complètement que l’on est face à un rhum blanc. Les notes épicées et végétales nous dirigeraient vraiment vers un rhum paille ou un rhum vieux au profil très vert.

L’entrée en bouche est ronde et suave, le rhum arrive en une bulle compacte qui va ensuite s’empresser d’éclater pour se déverser sur tout le palais, jusqu’à enivrer les papilles. Le profil est alors celui d’un vrai rhum de longue fermentation, avec de la tapenade d’olive, un côté médicinal, des baies de poivres exotiques, des fruits exotiques trop mûrs, des notes de truffe, de sous-bois, une touche cuivrée légèrement fumée. Il nous délivre une succession d’arômes sans nous lâcher une seconde, c’est une expérience intense qui pour autant se fait sans aucune brulure ni même trace d’alcool.

La finale est longue, comme on pouvait s’y attendre, nous sommes au frontières du rhum grand arôme, avec des airs d’eau-de-vie de pur jus de canne de type Clairin Casimir. Les épices sont mélangées au sein d’une terre riche et parfumée que parcourent des racines faites de réglisse, comme pour signer la mélasse à l’origine de ce voyage déroutant.


O'Baptiste - Humble Ambré - 45%
Pure Single Rum

Au nez, c’est avec surprise que l'on retrouve un rhum assagi et apaisé. On est ensuite cueilli par une canne très ronde, comme dans une eau-de-vie de canne teintée d’artichaut ou de châtaigne à la vapeur. Le boisé est traité de façon très douce, avec du chocolat au lait, du caramel au beurre et une sensation vraiment très ronde et épaisse, voire crémeuse. On retrouve d’ailleurs le côte lactique qui évoque maintenant franchement le fromage. La charcuterie au poivre et aux herbes est cette fois ci moins en avant, mais on retrouve sans peine ce point de repère qui faisait l’identité du rhum blanc. En tout cas quelque chose de très animal flotte toujours dans l’air.

Avec un peu d’aération, le boisé fait son office, il pigmente et pimente le rhum de diverses épices et aspirations végétales. Cette robe plus éclatante habille et donne un coup de dynamisme à un corps épais et velouté à la structure massive et tendre. Le temps donne de plus en plus de classe et de distinction au rhum, on prend plaisir à le voir évoluer, sans savoir où et quand cela s’arrêtera. Plus pimpant que jamais, il s’offre un vent de fraîcheur légèrement mentholée et teintée d’épices végétales, d’anis et de réglisse. On penche doucement mais sûrement vers un profil Jamaïcain à la Worthy Park, ce qui est assez incroyable. Le rhum est doux et moelleux, la consistance et les arômes oscillent entre la pâte d’amande et la banane bien charnue et très mûre, même le noyau de cerise et la résine de pin sont de la partie. Incroyable vous disais-je !

L’attaque en bouche est ronde et suave, le côté gras du rhum lui assure une entrée sans fracas. La complexité est palpable, ainsi que la concentration, malgré une réduction sensible. Et l’on démarre une grande série de saveurs gourmandes : le boisé délivre des notes épicées, végétales, suivies par des arômes plus fidèles au distillat, médicinaux et réglissés. Le cœur crémeux et débordant d’arômes ressemble ici à un caramel au beurre et à la crème fermière. Les fruits mûrs font ensuite leur apparition, avec des fruits noirs un peu tanniques, du coing, de la pomme rustique. Puis on va jusqu’à chatouiller les fruits confits et secs avec un peu de pruneau et d’abricot. La réglisse et le curry semblent avoir été là depuis le début, ils ont lié tous les autres arômes entre eux et assuré les transitions.

En finale, on a de nouveau la surprise de croiser un rhum façon Guadeloupéenne, avec du poivre, de la canne, un zeste de citron vert et une teinte résineuse et médicinale. On a même l’occasion de bien prendre notre temps en sa compagnie.



Ces deux rhums sont extrêmement originaux, il ont besoin de temps pour faire apprécier leur complexité. Ils ont un potentiel évolutif et une concentration incroyables, et un profil en dehors de tout stéréotype. Ils peuvent en cela être déconcertants mais j'ai pour ma part apprécié ce vent de liberté et la densité qui est proposée.


Photos (c)O'Baptiste