vendredi 19 février 2016

Interview : Cyrille Hugon, organisateur du RhumFest Paris


Le RhumFest Paris 2016 ouvrira ses portes le Samedi 02 Avril 2016 au Parc Floral de Vincennes pour deux journées publiques et une journée Pros le Lundi 04 Avril 2016. C'est le troisième RhumFest qui se déroule au Parc Floral, les Rhum Fair 2012 et 2013 s'étaient déroulées respectivement à la Cartonnerie puis au Bastille Design Center.

Avec Anne Gisselbrecht, Cyrille Hugon est à l'origine de ce salon qui s'étoffe chaque année. C'est après 10 ans à la tête du marketing de Dugas (un grand distributeur) où il a suivi la (re)éclosion du rhum en France, qu'il a créé le RhumFest mais aussi Rumporter en 2013 en compagnie d'Alexandre Vingtier. 

Je lui ai posé quelques questions pour parler organisation, nouveautés... et rhum !

RhumFest 2015 (c) Coeur de chauffe

- Peux tu nous raconter la genèse du Rhum Fest depuis la Rhum Fair de 2012 ?


Le Rhum Fest est venu d’un double constat : après m’être « éclaté » au Rumfest de Londres plusieurs années de suite dans une ambiance ultra décontractée avec des exposants accessibles et sympathiques, je me suis rendu compte que je connaissais à peu près tout le monde dans le petit monde du rhum. Donc je me suis dit : pourquoi pas un Rhum Fest en France, j’ai tout en main pour le rêver ? C’est aussi simple que ça. 

- En quoi consiste le métier d'organisateur entre deux éditions ? Quelles en sont les étapes ?

Cyrille Hugon & Anne Gisselbrecht
(c) Jean-Claude Limea
La première étape est assez simple : on se pose, avec mon associée Anne Gisselbrecht et avec un verre ou deux, et on réfléchit à comment on pourrait faire mieux que l’année précédente. Les idées viennent assez vite même si elles vont beaucoup évoluer au fil des discussions qui viendront ensuite avec Jerôme (Forma Bar) et Cédric (Bootleggers) les responsables des animations, avec Jean Marie et Marc (responsables des Awards) et bien sûr en fonction des réactions des exposants. C’est là qu’est la vraie difficulté : mettre ses rêveries en application. Ça implique tellement de monde que c’est long, très long, sans parler des négociations commerciales interminables … 

- Combien de personnes travaillent sur l’événement ?

A plein temps, nous sommes deux, Anne et moi. Mais, autour de nous une équipe passionnée constituée uniquement d'indépendants (consultants bartenders, amateurs pointus, graphistes, régisseurs, agence de presse ….) s'est créée au fil des années. Au mois de mars, on va être 4 à plein temps et le jour J on est une petite cinquantaine sur le plateau. Mais si tu comptes tous les jurés du concours, les animateurs, les ambassadeurs de marques, les chefs de produits, les bartenders, les maitre de chais, etc. Ce sont bien 200 à 250 personnes qui se dédient au rhum pendant les trois jours du salon.

RhumFest 2015 (c) Jean-Claude Limea

- Combien de visiteurs étaient présents l'année dernière et combien en attendez vous cette année ?

L’année dernière nous avons compté 4500 visiteurs, moitié-public moitié-pro. Cette année, comme nous avons agrandi, nous attendons plus de 6 000 personnes (4000 lors des journées publiques) et nous allons devoir limiter les nombre d’entrées pour éviter la cohue et garder un maximum de confort de dégustation.

- Y a t'il un profil type du visiteur ?

Je dirais deux profils pour la journée public : l’amateur de rhum pur et dur (60% du public) et l’amateur occasionnel qui est attiré par un super bouche à oreille sur l’ambiance du salon.

Pour la journée pro ce sont beaucoup de cavistes, de responsables CHR (Cafés Hôtels Restaurants, ndlr) mais aussi beaucoup de journalistes, de blogueurs, de grossistes et des agences de com qui viennent faire leur marché.

- Quelles seront les nouveautés cette année ?

RhumFest 2015
(c) Jean-Claude Limea
Un espace entièrement dédié aux aficionados : 400 m² dédiés à des animations pointues dont le bar des nouveautés, le bar Old Fashioned, un restaurant et mon coup de cœur : un stand d’accord fromage & rhum et ... Galabé que va animer Alexis Rivière des sucres Payet & Rivière (Réunion) avec la complicité de Nicolas Julhès (Distillerie de Paris, ndlr), qui malheureusement sera lui aux USA pendant le salon, et les rhums Isautier. Mais comme ils travaillent beaucoup ensemble, ça va être un truc canon. Ça c’est un scoop ! On a eu du mal à convaincre les marques de se lancer dans l’accord Rhum et Fromage et pourtant on sait qu’il marche. Pour l’anecdote, on s’est entendus avec Alexis et Isautier durant le salon Sagasdom le 12 février. Petit clin d’œil en passant au fait que l’île de La Réunion sera très présente cette année puisque on a une exposition sur l’Histoire du Rhum à la Réunion par Matthieu Lange et une forte implication d’Isautier qui nous a beaucoup aidés avec son musée du rhum pour ce faire. C’est important car la filière sucre/rhum est en péril à l’horizon 2017 (fin des quotas). 


- Comment se déroulent les RhumFest awards ?

RhumFest Awards (c) Jean-Claude Limea
C’est un dossier qui nous tient à cœur. Ça fait 5 ans qu’on en améliore l’organisation avec les deux responsables du dossier Marc Battais et Jean Marie Cornec. Ils sont très indépendants et ultra rigoureux et ils sont parvenus à mettre en place une méthodologie pour déguster près de 250 rhums chaque année. Faut s’imaginer à quel point ils jonglent quand tu sais qu’après 8-10 rhums ton palais est anesthésié. Ils ont donc un énorme travail de coordination à mettre en place avec près de 50 jurés sur 8 journées dédiées. Je salue ici le boulot de Marc Battais d’ailleurs. Pour info, cette année les dégustations auront lieu dans l’enceinte de La Rhumerie, boulevard Saint Germain et on en est fiers. C’est un lieu chargé d’histoire qui ne s’est pas ouvert à nous du jour au lendemain, un peu une consécration pour le concours.

- Etes vous la première compétition à intégrer la classification Pot still / Colonne / Assemblage ?

RhumFest 2015 (c) Jean-Claude Limea
Non je pense que Berlin l’a fait avant nous mais on se rend compte que c’est devenu important de
comparer des choses comparables. On s’est rendu compte par exemple que les rhums latinos ne "passaient" pas parce qu’il se retrouvaient dans une catégorie (rhums de mélasse) où il y a beaucoup de monde et certains rhums « puissants ». Dans un contexte de palais un peu chargés, c’est pas évident pour eux de surnager. Or il y a des amateurs de rhums « légers ». Il faut leur donner des repères dans cette catégorie. De la même manière qu’on a créé de nouvelles catégories, on s’est attaché à avoir un panel plus vaste de dégustateurs incluant des cavistes, des bartenders, des journalistes, des sommeliers, des amateurs éclairés mais aussi des ‘débutants’. Ceci dit et pour aller dans son sens et élever un peu le débat Luca Gargano a raison de vouloir créer ces distinctions. Plutôt que de chercher éternellement à se bagarrer sur ce qui a le droit de s’appeler rhum ou pas, ne prenons pas les amateurs pour des cons, ils ont juste besoin d’être informés correctement.

- Peux-tu nous parler des autres festivals dans le monde, de ceux qui t'ont inspiré, de ceux que tu aimes visiter ?

Je ne suis allé qu’à Londres, Madrid et Spa faute de temps et ce sont trois ambiances particulières et bien différentes. Pendant le Rumfest de Londres, la capitale mondiale du rhum, il y a une superbe présence des rhumiers du monde entier notamment pendant les soirées. C’est lié à la personnalité de Ian (Ian Burrell, ndlr) et au fait qu’il a été le premier. A Madrid, c’est toute l'Amérique du Sud qui est présente. Ambiance latine assurée et l’occasion de travailler son espagnol … Je rêve sinon d’aller à Miami, Rome et à Berlin … Peut être cette année. 

Guillaume Ferroni
(c) Jean-Claude Limea
- Tu fais partie de ceux qui ont assisté et surtout participé au boom du rhum quand tu travaillais chez Dugas, quel était "l'état" du rhum quand tu es arrivé là-bas ? Quand situerais tu le moment charnière ?

Tito Cordero (Diplomatico)
(c) Jean-Claude Limea
Tout se mettait en place sans qu’on s’en rende compte et ça s’est accéléré au tournant des années 2010, c’est clair. Un détail amusant quand même : quand on a commencé à appeler des maisons de rhum à Antigua, la Barbade, Sainte Lucie et d’autres, on nous a répondu parfois qu’on y pensait que vendre en France était interdit par la loi. En fait, le marché des rhums vieux n’existait pas vraiment. Et ils confondaient les taxes préférentielles (sur les agricoles) avec un protectionnisme insurmontable. Si 2 € peuvent avoir un impact pour qui cherche à vendre par le prix en supermarché, qu’est ce que c’est sur un rhum vieux vendu en cave ? Donc ça s’est ouvert assez vite. Et dans le même temps, les Anglais avaient la même approche. Tout ça s’est fait concomitamment avec quelques leaders. Il faut là rendre hommage aux vrais pionniers, l’américain Edward Hamilton, la française Chantal Comte, l’anglais John Barret, et tous les Italiens, Luca Gargano, les frères Rossi et le plus méconnu de tous Fecchio Graziano.

- Qu'est-ce qui doit être fait pour le rhum pour continuer à grandir à l'image du whisky ?

La transparence est importante c’est clair mais je ne suis pas tellement inquiet quant au débat sur l’édulcoration, les aromatisations, les spiced etc. Comme quoi ça dévalorise l’image du rhum dans son ensemble ... Je ne suis pas forcément d’accord. Il n’y a pas un Rhum, il y a des Rhums. Pourquoi interdire la dénomination Spiced Rhum en France ? C’est une réalité pourquoi la nier ? Parce que Captain Morgan est puissant? Ça n’appelle pas le même public qu’un VSOP Martiniquais. Et puis il faut faire attention aux traditions locales qui ne sont pas toutes infamantes. Je connais une distillerie des Caraïbes qui fait un travail fabuleux sur les fermentations, la distillation et les vieillissements depuis des dizaines d’années et qui m’a confié que dans la recette séculaire de leur produit phare il y avait un ajout de sirop vieilli en fut au moment de l’assemblage. Faut il interdire l'usage du mot rhum de leurs étiquettes ? La production de ceux qui ont une démarche qualitative pointue sortira du lot aux yeux des amateurs : les rhums agricoles, le WIRSPA (avec des réserves sur le système de contrôle) pour parler des grands ensembles, et les maisons comme HSE pour parler des producteurs. C’est comme pour le vin. A un moment, certaines maisons peuvent s’affranchir de leur appellation. Mais bon restons nuancés et comprenons par exemple les craintes des rhumiers agricoles qui sont de vrais survivants.

RhumFest 2015 (c) Jean-Claude Limea
Quand on sait qu’il y avait des dizaines de distilleries en Martinique et Guadeloupe au début du siècle et qu’il en reste une grosse quinzaine, on s’imagine très bien qu’ils n’ont pas autant de certitudes quant à la pérennité de la croissance actuelle du rhum que nous, "jeunes fougueux" amateurs qui n’avons que dix ou quinze ans de recul. Saint James par exemple, avec Marc Sassier en gardien du temple agricole est une bonne illustration de ce que je viens de vous décrire : soucieux de qualité mais en alerte sur la réglementation et les dénominations. Je crois sincèrement qu’on arrivera pas à mettre tout le monde d’accord mais qu’il faut trouver un moyen d’éviter les abus. Je suis parfaitement en phase avec Nicolas Legendre de Damoiseau (voir interview dans le Rumporter 6) quand il dit qu’il faut fixer des limites raisonnables au delà desquelles on a affaire non plus à un rhum mais à une liqueur. Et les gens ont parfaitement le droit d’aimer les liqueurs …

- Qu'est-ce qui a changé depuis la Rhum Fair 2012 ?

L’engouement des marques :), le dynamisme incroyable des rhums agricoles. En 4 ans, c’est une explosion incroyable ! 

- Est-ce qu'un magazine papier distribué en kiosque est en projet pour Rumporter ?

On va essayer de passer au papier en effet cette année, sans lâcher le numérique. Mais on garde le réseau de distribution en magasins spécialisés (V&B, Comptoirs Irlandais et nos partenaires naturels comme A’Rhum, Christian de Montaguère, La petite Martinique …).

Par contre, je peux t’annoncer (autre scoop), l’arrivée très prochaine d’un tout nouveau site internet.


RhumFest 2015 (c) Jean-Claude Limea

- J'imagine que tu as visité pas mal de pays et de distilleries, est-ce qu'un voyage te revient immédiatement en mémoire ?

L’île Maurice il y a 2 ans. Un accueil fabuleux avec des gens hyper dynamiques. Sainte Lucie où je suis allé deux fois et qui est une petite perle. La Martinique bien sur avec la visite à Cyrille Lawson qui est toujours un grand moment, la montée vertigineuse dans la colonne Neisson et le tour sur l’îlet de François Moll…

- Quels sont tes goûts personnels en matière de rhum ? Tes coups de cœur récents ?
Pas de chapelle. Tu vas me faire avoir des problèmes toi. Allez, de tête sans réfléchir. Coups de cœur récents : des cachaças goûtées à Spa, toute la gamme Rivières Du Mat que j’ai regoûté par hasard et à l’aveugle, les cuvées parcellaires de Longueteau (j’aime beaucoup cette maison), le millésime 2006 de 3 Rivières, un Appleton 12 qui traînait chez moi et le VSOP de JM qui est un coup de cœur à chaque verre depuis toujours. Mais j’ai beaucoup de retard au niveau dégustation. J’ai du mal à suivre Luca Gargano par exemple (c’est un travail à plein temps) et je compte bien me refaire au Rhum Fest. J’aime beaucoup ses guyanais et Caroni me plait vraiment beaucoup mais je suis un fan absolu de son Rhum Rhum. Marie Galante ! Marie Galante, c’est en soi quelque chose à voir déjà, et les rhums Libération sont parfaits je trouve. Sans parler de la décoration des boites. Après, en coup de cœur, il n’y a pas que les rhums, il y a des gens géniaux … Tiens, pour refaire mon retard et ne citer que lui , Benoit Després (Rhum, Rum, ron) m’a promis un tour prochainement dans sa collection. On a découvert qu’on était presque voisins…

Merci Cyrille pour tes réponses et ton implication, bon courage pour la dernière ligne droite et à très vite au Parc Floral !

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