Après une première session de versions réduites, voici les versions qui font en général le plus parler d'elles, je veux bien entendu parler des versions intégrales / brut de fût / cask strength.
Ces rhums n'ont donc connu aucune retouche et sont passés directement du fût à la bouteille. Enfin presque, car ils ont certainement connu un certain temps de repos après assemblage, car je vous rappelle que ces Libération sont des assemblages de rhums vieillis en fûts de Sauternes et en futs de Bourgogne blanc.
Il y a aussi dans cette série deux single casks (fûts uniques) qui sortent de fait du lot.
Ces rhums n'ont donc connu aucune retouche et sont passés directement du fût à la bouteille. Enfin presque, car ils ont certainement connu un certain temps de repos après assemblage, car je vous rappelle que ces Libération sont des assemblages de rhums vieillis en fûts de Sauternes et en futs de Bourgogne blanc.
Il y a aussi dans cette série deux single casks (fûts uniques) qui sortent de fait du lot.
Rhum Rhum Libération 2012 –
59,8%
(2007 – 2012)
Le premier nez est assez
sérieux et minéral. Sans aller jusqu’à dire qu’il est dur, on peut dire que ses
notes de pierre à fusil nous accueillent avec une certaine autorité. Mais le
portier impressionnant a déjà du mal à réprimer un sourire et son œil se met
vite à pétiller. Derrière la porte, une fiesta exotique débridée dans un verger
tropical où les fruits mûrs et gorgés de sucre rôtissent au soleil. Les fruits
tombés au sol ont séché, certains sont même confits. On prépare le shrubb dans
un coin, en tout cas les écorces d’oranges sont plus que prêtes. On boit aussi
quelques ti’punchs, avec un bon rhum blanc bien rond et un citron vert un peu
amer. À l’ombre du chai, les habitués profitent des effluves de vieux bois
humide, de tabac et de miel. On est bien…
Le temps passe et la fête ne
perd pas de sa fougue, bien au contraire. Les esprits et les corps
s’échauffent, des arômes musqués émergent, saisissants, la fumée de tabac et le
thé noir enrobent les fruits pour les porter avec intensité.
L’entrée en bouche est
envahissante, elle se disperse, s’emparant de chaque papille pour la réchauffer
vigoureusement. Le bois pèse de tout son poids dans les premiers instants, avec
la pierre à fusil et le thé noir trop infusé. Ce boisé concentré a ensuite
l’élégance et l’art d’amener un autre concentré, de fruits cette fois, gorgés
de sucre et imprégnés des saveurs de leur noyau. Puis le rhum ne cessera de fondre par la suite : en chocolat, en tabac vanillé, avec un sursaut de sauce
soja, en épices élégantes, en caramel au beurre…
La finale est distinguée, tout
le monde reprend un semblant de sérieux et de dignité à la fin de la fête. Le
pruneau est accompagné de son plus joli noyau, et les fruits exotiques vont de
pair avec un bâton de réglisse bien juteux mais de bon ton.
Autant le dire tout de suite,
je ne suis pas pour le tout « full proof », ni pour la course aux
watts, je suis encore moins un anti-réduction, mais cette version intégrale est
nettement au-dessus de la version réduite. Elle est plus efficace et dirige la
manœuvre de bout en bout, il ne nous reste qu’à contempler et profiter du
moment.
Rhum Rhum Libération 2015 –
58,4%
(2010 – 2015)
émeux qui nous éclabousse lourdement, avec toutefois une légère oxydation qui nous maintient dans une certaine légèreté dans le registre des fruits « communs », pas tout à fait exotiques. Pas d’inquiétude, la lourdeur tropicale va bien finir par nous tomber sur les épaules, et pas qu’un peu, avec des mangues charnues, de la papaye, et même du jacquier.
Il faudra tourner un peu le
rhum sur les parois du verre pour laisser une chance au bois, et ce serait
dommage de ne pas le faire parce qu’il va s’intégrer parfaitement à tout cet
exotisme. D’abord frais, blanc et un peu mentholé, il va se teinter, se cirer
de ce rhum très fruité pour à son tour lui instiller des épices délicates et
des essences de tabacs et de thés. Lorsque tout est en place, voici un rhum
frais, fringant et particulièrement élégant.
En bouche, c’est plutôt le
bois qui prend la parole en premier. Fumées, minérales, les premières gouttes
laissent une trace de cendre sur la langue. Les tanins sont accrocheurs et le
bois est bien toasté. Au cœur de ses veines, des coulées de réglisse, de sucre
brûlé, de sirop de batterie, de mélasse en somme. À la gorgée suivante, le
palais est prêt pour une très jolie eau-de-vie de canne façon Rhum Rhum,
moelleuse, ronde, avec un souffle de canne fraîche et de menthol. Incroyable
contraste avec le premier contact, comme si l’on avait épluché et retiré une
coque dure et torréfiée pour délivrer une amande douce et veloutée. Toute la
moiteur tropicale reprend ensuite ses droits : fruits exotiques mûrs,
tabac bien gras, levure, un peu de café, et toujours une canne moelleuse aux
airs d’artichaut à la vapeur ou même de châtaigne.
La finale est longue et
réglissée, très sucrée et confite, pâtissière, avec des relents interminables
de ti’punch. Une très belle conclusion toute Guadeloupéenne.
Le passage de la distillation
de 2007 à celle de 2010 a pu surprendre, et je comprends aujourd’hui pourquoi.
Tout comme la version réduite, cette version intégrale demande sans doute un
peu plus d’attention. Même si les deux versions (réduite et intégrale) ont des
approches tout à fait différentes, ce qui est déjà intéressant en soit, l’âme
des Libé est là plus que jamais. Mais la singularité de la distillation 2010
est plus marquée que celle de 2007, elle creuse donc l’écart avec ses congénères
Marie-Galantaises, et notamment Bielle.
Rhum Rhum Libération 2015 –
60,6%
Single Cask pour les 60 ans de
La Maison Du Whisky
(2010 – 2015)
Un fût unique ex-Sauternes (Yquem)
(c)Rhum Attitude |
Le nez s’ouvre avec une
sensation immédiate de concentration, un bel agricole avec une robe tissée de
vieux bois. Tout le caractère des Libération est déjà en place, avec un chêne
tannique et sombre, du tabac brun, du cacao et du thé noir bien amers. Le bois
sec semble porter des traces de mousse et de fleurs séchées, de bruyère, un
univers végétal qui a été enfermé pendant des années. Mais à l’intérieur de
cette croûte de maturation, un rhum intact qui a conservé tout son exotisme. Le
petit voile de solvant en est témoin, il est plus vif que jamais, concentré,
rouge sang.
Après l’avoir tourné
délicatement, il laisse sur le verre un peu de son grain aux accents de pierre
à fusil et se détend, tout en souplesse. Il semble alors huileux et suave, les
fruits sont subtilement pâtissiers, à l’image de l’orange confite et des
abricots secs. D’autres sucs de fruits semblent y avoir coulé en lentes
gouttes, comme du miel. On pense aux raisins oubliés jusqu’aux premières neiges
ou aux mirabelles toutes collantes de sucre. Le temps laisse le tabac
s’installer de nouveau, il est beaucoup plus avenant, caramélisé et vanillé.
En bouche, l’étreinte est intense
et la concentration poignante. Voilà tout ce que l’on attend d’un rhum brut de
fût : une possession totale du moindre recoin de la bouche, suivie d’une
chaleur intense mais pas brûlante, « un bon remontant » pourrait-on
dire. Les sens en éveil, on voit tout de suite mieux et c’est en pleine
conscience que l’on apprécie le moelleux qui va suivre, avec du tabac gras, de
la châtaigne à la vapeur, de la brioche bien levée et ensoleillée. On pense
ensuite à toutes les caramélisations possibles : le bord de l’ananas
flambé, le fond du moule de la tarte Tatin, la croûte du cannelé…
La finale est très longue et
très agricole, avec un rhum blanc légèrement citronné et relevé de poivre
blanc, puis des noyaux de cerise et de pruneau bien gourmands.
On retiendra avant tout la
concentration et le côté huileux de ce rhum, même si les premiers instants
étaient bien sombres et corrosifs. Voici une nouvelle fois un exemple de rhum à
« épauler » quelques mois avant d’en apprécier le caractère solaire
et terriblement gourmand.
Rhum Rhum Libération 2017 –
58,4%
(2010 – 2017)
Le premier nez emporte, avec
l’alcool et le solvant, des arômes de grosse fermentation bien fruitée et
légèrement acide, avec une pointe animale ou salée. Ca vous rappelle quelque
chose ? Un Long Pond ou un Worthy Park légers pourraient faire l’affaire
en effet. Je vais avoir du mal à dévier de cette fausse piste car la poudre
d’amande prend le relais, avant de finir par rejoindre un beau boisé moelleux.
Mais que s’est-il passé, là ?
Le boisé tendre a quelque
chose de fleuri, quoique bien capiteux. On pourrait aussi penser à une
grenadine bien concentrée, avec du cassis et de la fraise. La canne n’est pas
loin, son jus est tout juste chauffé. Il est clair et plutôt poivré dans un
premier temps, puis se fait de plus en plus épicé, avant de rejoindre les
fruits dans une sorte de vin chaud de Noël préparé avec goût.
Avec un peu d’air, on
re-convoque finalement le vieux boisé qui resserre les bulbes olfactifs et qui
vient aussi rappeler l’ambiance de la distillerie avec quelques effluves
métalliques, voire mécaniques, avec un peu d’huile chaude et de solvant. Très
vite, le noir devient violacé, puis grenat, et le concentré de fruits reprend
ses droits en enfonçant le clou : mangue crémeuse, ananas acidulé, anone,
banane… C’est bon je me rends.
L’attaque en bouche est vive
et un brin alcooleuse, ce qui coupe l'élan des fruits avant qu’ils ne s’étalent, et
nous empêche de vibrer comme on l’aurait aimé. Cette vivacité est assortie
d’une petite acidité rafraichissante qui introduit élégamment un boisé
équilibré, un tout petit peu cendré mais surtout doucement épicé, légèrement toasté,
avec des fruits à coque modérément gras. Le plus réussi dans cette bouche est
sans doute le passage de relais qui s’opère maintenant avec une eau-de-vie de
canne d’un moelleux délicieux, sur l’artichaut et la châtaigne à la vapeur,
tellement doux et confortable.
La finale est moyennement
longue, avec du tabac vanillé, un peu de réglisse, de thé Earl Grey et de pâte
à pain.
Un peu déçu par cette version,
d’autant plus que j’avais beaucoup aimé la version réduite. Un peu déçu
seulement car cela reste un très bon rhum. En tout cas les fortes notes de
pierre à fusil des premières minutes d’ouverture de la bouteille ont bien
disparu après quelques mois « d’épaulage » et le nez présente une trame
originale et particulièrement réjouissante. Mais je suis malheureusement passé
à côté en bouche ; à part en milieu-fin, au moment où l’eau-de-vie de
canne s’exprime.
Rhum Rhum 2007 – 57%
Vittorio Capovilla for Velier 70th anniversary
(2007 – 2017)
Une re-distillation des têtes de la campagne de 2007. 12 litres de têtes ont été mis de côté à chaque cuvée, ce qui est une quantité assez importante. Une bonne partie de ces têtes pourrait faire en réalité partie du cœur. De plus, la durée de distillation prolongée (6-7 heures) en assure l'excellente qualite.
Ce fût unique a été réduit à 57%.
Le nez nous indique le chemin
de l’apéritif avec une amertume et une petite oxydation toutes italiennes. Mais
la grosse machine qui rugit derrière le petit vermouth est bel et bien
tropicale et elle ne saurait cacher son joli vernis et son bois torréfié. Le
rhum agricole (canne, zeste de citron vert, poivre) est bien entier, il est un
tronc à l’écorce épicée sur lequel s’enroulent des lianes d’herbes aromatiques
séchées, de la vigne, des fruits exotiques. L’atmosphère reste tout de même
sombre et poussiéreuse pendant un moment, il va falloir un peu de temps pour
que cela se dissipe, mais ce que l’on a pour patienter n’est vraiment pas
désagréable !
Avec un peu d’air, c’est
toujours l’eau-de-vie de canne qui domine, ronde et concentrée, sophistiquée
mais gourmande. L’identité Libé (tabac, thé, levure) reste plutôt légère, au
sens où elle est présente mais bien intégrée, à l’équilibre avec la canne. Un
côté poudré, cendré, flotte encore dans l’air et rappelle notre vieux fût qui a
vu passer les saisons à l’ombre de son chai. Il y a encore pas mal de
poussière, mais les fruits séchés sont là, avec du noyau, de la peau d’orange,
de la vanille, un peu de sauce soja. Le charme opère toujours malgré la
touffeur tropicale et fruitée qui se fait un peu désirer.
L’attaque en bouche est vive
et assez acide. Plutôt astringente, elle resserre les papilles mais les pénètre
avec son amertume boisée. La langue ne fait qu’une avec le fût, elle se
recouvre de noix de toutes sortes, de thé noir très infusé, de café, de cacao. Le
côté apéritif italien refait surface, avec cette oxydation et cette amertume
gourmandes qui virent ensuite presque au Pedro Ximenez lorsque les pruneaux
entrent en scène. C’est là que le rhum devient plus ample, les fruits
extra-mûrs ou séchés entrent dans la brèche et s’enrobent de tabac, de miel de
châtaigner, de sauce soja blanche. Le rhum agricole blanc arrive sur ce tapis
rouge, intact et altier, pur et juste un peu doré, comme une goutte de soleil.
La finale est relativement
légère, sur le bois toasté et le sirop de batterie, avec une petite sensation
minérale et tannique.
Un Rhum Rhum à part, ce qui
s’explique par le fait que ce n’est pas un Libération puisque le distillat
n’est pas le même et qu’il n’y a pas eu d’assemblage. C’est un rhum complexe et
plutôt sombre, une plongée de 10 ans dans la nuit qui règne sous les douelles
du fût. Son cœur est assez léger, la gourmandise de la grosse fermentation est
moins palpable, mais son âme agricole est intacte et mise en valeur de façon
originale et finalement inédite.
Au final, on constate que la réduction aurait tendance à uniformiser davantage les rhums. Ces versions intégrales sont encore plus différentes les unes des autres.
Pour ce qui est du choix de la version, le 2012 intégral est bien au dessus du réduit, les 2 versions du 2015 sont toutes deux très interessantes, et le 2017 réduit est plus réussi que le brut de fût selon moi. On peut donc dire qu'il n'y a pas de règle dans le choix de la version réduite on non, il faut vraiment se faire sa propre idée.
Les deux single casks sont quant-à eux assez singuliers et méritent un peu de repos une fois les premiers 10cl prélevés.
Le 2015 LMDW se révèle ainsi d'une concentration admirable, alors que le 2007 joue plutôt sur la légèreté et laisse toute la place aux notes du fût.
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