vendredi 29 janvier 2016

Les Bienheureux

Tiens tiens des petits nouveaux ! La société créée il y a trois ans commence à distiller ses produits partout en France, dans les bars et chez les cavistes. Quand je dis distiller c'est une expression, je précise car Les Bienheureux ne sont pas des producteurs mais des assembleurs qui distribuent leurs spiritueux. Leur Cachaça est disponible depuis un moment et fait déjà son petit effet dans le milieu de la Caïpi, les Embargo blanc et anejo ont suivi, accompagnés du rhum infusé Coro Coro, puis tout récemment d'El Pasador de Oro.


C'est avec une ambition non dissimulée qu'un négociant en vins Bordelais et un ancien patron d'Havana Club ont décidé de conquérir le monde en proposant les rapports qualité / prix les mieux placés possible. Puisque l'objectif est large, chaque catégorie est représentée : cachaça, rhum blanc, rhum vieux, rhum premium et spiced. Il est vrai que dans le boum du rhum que l'on connait en ce moment, les nouveaux arrivants sont souvent soit des "petits artisans", soit des rhums "premium" (ou au moins vendus comme tels). Les rhums Plantation se sont déjà prêtés avec succès à l'exercice mais le gâteau est très gros, il y a donc encore des parts aux côtés de Bacardi et Havana club pour des rhums "casual" et polyvalents. Bien sûr nous avons la chance en France d'avoir de superbes rhums blancs et ambrés des Antilles à des prix raisonnables mais les alternatives d'une autre tradition que celle de l'agricole dans le même budget se font plus rares.

L'assemblage d'âges et d'origines différents est de mise comme pour beaucoup d'autres marques mais il y a de petits plus qui ont sonné à mon oreille comme par exemple l'assemblage rhum agricole de Martinique / rhum de mélasse Sud-Américain qui n'est pas très fréquent (voire unique ?)

Abords de la distillerie de Parati - Les Bienheureux
Pas trop laid...
Le premier produit découvert lors d'une dégustation a été la Cachaça Parati. Jusqu'alors je connaissais quelques cachaças mais je n'avais pas beaucoup creusé ce produit car j'étais tombé sur des produits plutôt faibles en qualité ou en goût (51, Pitu, Ypioca, même Abelha qui est pourtant supérieure aux précédentes m'a semblé vraiment trop light). Celle-ci m'a bluffé au moment où je découvrais également les Clairins ou encore les rhums Thaïlandais qui ont en commun ce parfum si naturel de canne.
Pour situer un peu, Parati est une ville de pêcheurs du Sud-Est du Brésil, où l'on dit que l'on produit la cachaça depuis le XVIè siècle.

L'alambic - Les Bienheureux
La canne utilisée pour cette cachaça est issue d'un seul terroir. A la différence du rhum produit par double distillation ou distillation continue, ici on parle de simple distillation. Elle se fait à partir du pur jus de canne dans un alambic charentais du XIXè siècle. A l'issue de cette passe unique dans l'alambic, le distillat titre entre 37,5° et 42,5°, il est réduit puis embouteillé à 37,5° avant d'avoir été assemblé avec une part de cachaça vieillie en fut. Il en résulte donc une couleur légèrement paille.



PVC 33€
Le nez est généreux d'emblée, très parfumé et on a l'impression d'avoir un ti-punch tout fait dans le verre. Quelques notes d'agrumes donc, c'est aussi assez rustique, végétal, on est sur la fibre de la canne. Il y a aussi un côté cuivre, eau de vie, banane, avec en alternance un côté terreux et un autre plus sur le fruit exotique très mûr (papaye ou mangue) et même quelques notes fraîches de framboise. A l’aération on perd un peu en richesse, mais on garde la fraîcheur et la puissance et le côté végétal devient plutôt miellé.
En bouche cela ressemble a un rhum agricole très doux, suave. Ce n'est pas très complexe, moins frais que le nez pouvait le promettre mais à 37,5° c'est plutôt normal. Des notes de poivre doux, la finale est rustique mais grasse, végétale mais consistante, moyennement longue.
Le tout est très plaisant et charmeur, on sent que l'on a à faire à un petit bout de Brésil en bouteille !
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PVC 29€
J'ai ensuite découvert l'Embargo brun ou "Anejo" et j'ai été séduit par son équilibre. Boisé, rond, épicé, il s'agit d'un assemblage de trois origines et de trois méthodes différentes puisque les rhums réunis ici proviennent du Guatemala (miel de canne), Martinique (pur jus) et Cuba (mélasse). Au départ destiné aux cocktails comme le laisse supposer le choix de l'étiquette sobre, il peut compte tenu de son prix concurrencer bien d'autres rhums plus ambitieux souvent trop sucrés. Je le conseillerais volontiers comme un rhum découverte, pour une soirée ou à emporter en vacances.

Au nez on a bien sûr du caramel mais surtout une bonne dose de cannelle, du poivre doux, d'autres épices douces. Le boisé qui est assez sec garde cependant un profil de rhum de tradition espagnole, mais sans être plat, toujours dans l'équilibre. Tout cela est très juste et sa jolie couleur or tient toutes ses promesses.


Lorsque l'on agite un peu le verre le boisé se fait plus vif et épicé (girofle), le rhum devient aussi un peu plus alcooleux. Les épices se font moins douces mais la cannelle reste présente avec une arrivée de raisins secs.
La première gorgée est légère au niveau aromatique, vanillée et assez grasse. Le bois a disparu, seule reste une petite note de girofle sur la langue. C'est sucré mais équilibré tout de même et la longueur est assez sympa. C'est donc en bouche que ce rhum montre ses limites car pas franchement expressif mais encore une fois il s'agit d'un rhum plutôt typé espagnol plus qu'honnête pour son prix et qui remplacera aisément les superstars vendues 20€ plus chères.
Petit détail surprise, quand je suis repassé près du verre vide, de délicieux arômes pâtissiers s'en sont échappés, vraiment irrésistibles, et oui j'ai été faible je m'en suis resservi...

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PVC 45€
Les spécialistes l'auront reconnue, c'est bien la même carafe que celle utilisée par les rhums Bielle ! Dans ce joli flacon se trouve El Pasador de Oro, un assemblage de rhums de 6 à 15 ans (avec une moyenne d'âge de 12 ans) provenant du Guatemala et élevés en France en fût de Cognac. Là encore l'équilibre aussi bien gustatif que financier est de mise mais on est à niveau supérieur de complexité.

Le nez est d'un boisé assez profond, épicé, assez dur au départ, il parait fermé et sombre (comprendra qui pourra :) Mais j'ai trouvé la clef rassurez vous, juste un petit tour de verre et la cannelle arrive accompagnée du cacao, puis les fruits exotiques, les raisins secs. tout cela se "débloque" en un instant c'est assez surprenant. Et c'est très plaisant, plutôt complexe, richement boisé, bien que ce dernier se fasse un peu poussiéreux quand même par moments.
La surprise se poursuit après un peu d'aération, j'ai eu une impression de jardin (oui), de tomate verte, de végétal, et ce développement a définitivement fini de me séduire. Le caramel est toujours là en fond et il est un peu brûlé / torréfié et saupoudré de cannelle.

Alors toutes ces notes sont effectivement très classiques (sauf la fraîcheur du jardin) mais bien arrangées comme cela c'est vraiment agréable.
En bouche cela retombe un peu (on reste toujours sur l'esprit rapport qualité / prix, il faut bien garder cela en tête). On a du caramel, ce n'est pas très complexe mais équilibré, on trouve des épices douces et la longueur est moyenne, facile et sucrée. Cela me rappelle un Plantation 20è anniversaire ou encore un Diplomatico moins caramélisé.
Pour résumer le nez de ce Pasador est vraiment très très joli et la bouche est très (trop) douce, mais on a bien à faire à un rhum intéressant, un rhum de dégustation "détente".

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PVC 25€
J'ai pu déguster tranquillement à la maison un échantillon d'Embargo blanc, un assemblage de quatre rhums blancs et un rhum vieux provenant du Guatemala (pour le vieux), de Martinique, Cuba, Jamaïque et Trinidad. Ce rhum est clairement destiné aux cocktails, je ne peux pas vraiment en parler car je ne connais pas du tout cet univers mais voici ce que j'y ai trouvé à la dégustation :
Un petit peu de vernis au premier nez et très vite un côté acidulé - bubblegum - alcooleux mais sans brûlure et quelques notes traînantes de fleurs capiteuses. Plus on agite le verre, plus le bubblegum se fait présent, accompagné d'écorce d'orange et de vanille.
La bouche est ronde et plus plaisante que le nez laissait présager, on y retrouve la vanille et l'orange.
C'est donc un blanc très doux pour confectionner des cocktails gourmands.

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PVC 28€
Enfin je ne l'aurais pas forcément cru il y a quelque temps car habituellement je ne m'intéresse pas spécialement aux rhums arrangés, spiced, infusés, liqueurs ou autres crèmes, mais je suis très content d'avoir découvert le Coro Coro. C'est le nom de l'ibis rouge qui plane au dessus des champs de canne du Guatemala et aussi le nom de ce rhum infusé au cacao, dernière carte de la quinte flush des Bienheureux. La base est un rhum de quatre ans du Guatemala qui est infusé de fèves de cacao, de vanille de Madagascar et de poivre du Cambodge, le tout sucré au miel de canne pour arriver à 30° d'alcool. Le résultat donne l'impression d'un très bon rhum arrangé, sans impression de synthétique. Je l'ai bu après l'avoir passé au réfrigérateur, je pense que c'est préférable étant donné la sucrosité du produit, et je l'ai dégusté en petites doses. On le verserait je pense aussi bien sur une boule de glace, ou pour imbiber un gâteau.

On sent au départ le gingembre (en poudre à l'état d'épice, pas frais), le poivre du sechuan et un peu de citron vert. Puis la vanille, le cacao, le gingembre à nouveau et la muscade. Toutes ces épices sont vraiment présentes et on a pas l'impression doucereuse d'arômes de synthèse.
En bouche c'est bien sûr très rond, agréable, sur les épices douces et ça se termine sur le cacao. L'équilibre épices / sucre est bien ajusté (dans le cas où on le déguste frais) et ce cocktail épices + bois + caramel m'a fait penser à du sirop d'érable, d'où mon envie d'en verser partout ! Et là je me suis dit qu'il fallait se calmer car mettre du rhum sur des pancakes au petit déjeuner c'est le début de la fin.
J'ai vraiment apprécié ce produit car il est vendu tel qu'il est, c'est-à-dire plutôt une liqueur, je l'ai donc apprécié tel quel car je savais que j'allais déguster un bonbon. Et ce bonbon est plutôt du genre artisanal et pas chimique donc ça marche très bien.

Voila pour ce tour d'horizon, j'ai choisi de vous parler de cette gamme car je l'ai trouvé plus qu'honnête gustativement et je trouve que leur contrat de rapport qualité / prix est bien rempli. Voici des rhums qui ne revendiquent pas une histoire montée de toutes pièces ni des méthodes d'élaboration d'une autre planète, ils permettent de se faire plaisir ou d'offrir un produit pour lequel on paie un prix juste.