jeudi 24 novembre 2016

10 rhums à moins de 50€ pour les fêtes

Fêtons le premier anniversaire du blog avec un article festif ! Nous terminons cette année comme elle avait commencé, avec une sélection de quelques bouteilles à offrir ou à s'offrir à Noël. Depuis un an le rhum a encore pris un essor incroyable et pour la première fois dans le ciel, on entendra plus les grelots des rennes du père Noël mais plutôt les *gling gling* des bouteilles dans la hotte. On dit même que l'homme en pèlerine s'intéresserait à ce nectar pour se réchauffer là haut en Laponie et qu'il expérimenterait le vieillissement polaire (Boum ! Ils peuvent aller se recoucher les marketeux avec leur vieillissement en jardin d'herbes aromatiques).

Cette année donc, préférez les bottes plutôt que les chaussons au pied du sapin, elles feront un étui du plus bel effet pour vos bouteilles ainsi qu'une protection efficace au moment du saccage des paquets cadeaux par les enfants. De rien ;)

Mais voilà, avec le succès sans cesse grandissant du rhum vient l'embarras du choix. J'espère vous aider un peu avec cette sélection de coups de cœur. Ce ne sont pas forcément des nouveautés mais souvent des rhums qui ont été au départ de chouettes découvertes et qui se sont affirmés comme des incontournables par la suite.

Cette sélection fait la part belle aux rhums blancs car il y a de plus en plus de jolies choses dans cette catégorie. Avec la démocratisation des rhums blancs de mélasse de Jamaïque par exemple et le développement des "nouveaux" rhums d'Asie et de l'Océan Indien notamment, la catégorie offre une diversité jusqu'alors réservée aux rhums vieux. Et l'exploration de ces rhums "vierges" est passionnante : quoi de mieux que le distillat d'origine pour juger des différences dues au terroir ou au mode de distillation ?

Les photos de cet article proviennent du site http://www.rhumattitude.com


ISSAN

Pure single agricole rum

Installée dans la région éponyme du Nord de la Thaïlande, Issan produit un rhum qui pourrait être qualifié de "Commerce équitable", bien que n'étant pas labellisé comme tel. Les producteurs de canne sont accompagnés et payés à une valeur juste, les travaux aux différentes étapes de la fabrication du rhum sont faits à la main et donc créent des emplois localement. Cette politique est également bénéfique (ou en tout cas responsable) pour l'environnement et surtout pour la qualité du rhum.

On utilise le pur jus de canne frais assez longuement fermenté, ce qui permet de développer des arômes très fidèles à la canne à sucre. Ce jus est ensuite distillé en alambic traditionnel en cuivre pour une nouvelle fois être au plus près de l'âme de la canne, véritablement dans l'esprit d'une eau-de-vie.
Le résultat est un rhum blanc très doux et aromatique. Frais au nez et végétal dans un premier temps, il devient ensuite plus "épais" et fruité. Onctueux en bouche, il est tout en rondeur mais laisse le terroir s'exprimer. On est transporté dans un champ de canne, dans la chaleur et l'humidité des tropiques.

  

MEZAN - Jamaïca - Long Pond 2000

Single blended rum

Les rhums de Jamaïque et leur caractère corsé étaient auparavant réservés aux négociants, plutôt Anglais, mais aussi Français (Bordelais pour la plupart). On buvait ces rhums de négoce sous forme d'assemblages comme le Negrita par exemple. Ils étaient alors souvent arrangés et colorés avec du caramel, des lamelles de cuir etc. Aujourd'hui les distilleries Jamaïcaines commencent à distribuer sous leur propre marque, mais entre temps de nombreux embouteilleurs indépendants comme Mezan ont commercialisé ces rhums de caractère tels quels, sans les utiliser comme simple "booster". Dans le cas de Mezan, les rhums ne sont ni colorés, ni sucrés. Ils ne subissent qu'une adjonction d'eau afin de les adoucir et de découvrir leur spécificité sans agressivité.

On a ici un bel exemple de ce que la Jamaïque peut proposer, un peu de solvant (ça peut faire peur mais c'est finalement assez agréable), des fruits exotiques et des notes pâtissières de raisins secs et d'amandes. En bouche on a une sensation crémeuse, toujours des fruits exotiques bien mûrs mais aussi un sacré caractère épicé et toasté. Que de gourmandise ! Les 40% rendent l'expérience très facile, si le style vous plait vous avez ensuite un monde de grosses brutes à découvrir si vous le souhaitez.


LONGUETEAU - Sélection parcellaire n°9

Rhum agricole

Le terroir est important quand on parle de rhum agricole, c'est-à-dire de rhum élaboré à partir de pur jus frais de canne à sucre. Au contraire de la mélasse qui est un résidu de l'industrie sucrière et qui peut se permettre d'être stockée et de voyager d'une usine à une distillerie à l'autre bout de la planète, le pur jus de canne doit être mis en fermentation et distillé très rapidement si l'on ne veut pas perdre toutes ses qualités. Ce jus va alors refléter les caractéristiques du sol, de la variété de canne utilisée et des conditions dans lesquelles elle a poussé. La distillerie de Basse-Terre a choisi d'illustrer cette notion de terroir en proposant des cuvées dédiées à une variété de canne et même à une parcelle en particulier.

La parcelle n°9 est donc réservée à la canne rouge, variété qui nous donne un rhum puissant et souple à la fois. Ce rhum complexe offre une explosion de parfums floraux, fruités, végétaux. Cette  impression de richesse se poursuit en bouche, les saveurs sont délicates et ciselées, portées par la puissance des 55%. Il fera bien entendu un super ti-punch mais il s'agit aussi définitivement d'un rhum blanc de dégustation qui contient déjà ce qu'il faut d'agrumes et de rondeur.


APPLETON ESTATE - Rare blend 12 ans

Single blended rum

Retour à la Jamaïque avec une distillerie qui fume depuis le XVIIIè siècle et qui, à la différence d'autres distilleries de l'île, distribue sa propre marque de rhum depuis bien longtemps. Appleton Estate excelle dans l'art de l'assemblage. Là où beaucoup de ses voisines se sont spécialisées dans les expressions corsées destinées aux négociants, la distillerie propose une gamme de rhums très équilibrés, plus consensuels. On y produit des rhums plus ou moins "chargés" qui sont  fermentés, distillés et vieillis différemment les uns des autres. Cela afin d'avoir le choix entre plusieurs profils à assembler ensuite pour arriver à l'équilibre parfait.

Ce rhum de 12 ans est au cœur de la gamme et fait selon moi partie de ceux qu'il faut avoir goûté au moins une fois. Il sera parfait pour découvrir le rhum tout court. Doux au nez, il est tout de même plutôt lourd, c'est à dire chargé en arômes. Nous avons du boisé, des épices, des notes torréfiées et caramélisées, mais aussi des fruits comme de l'orange. Cette orange reste présente tout au long de la dégustation, sous forme d'écorce confite, en étant toujours accompagnée d'autres notes plus épicées, boisées etc. Je suis prêt à faire le pari que vous ferez mouche à chaque fois avec ce rhum.


REIMONENQ - Réserve spéciale 6 ans

Rhum agricole

Voici un autre bijou de Guadeloupe à l'identité bien affirmée. Habitué aux rhums Martiniquais élégants et délicats, j'ai d'abord été très surpris par ces rhums que je ne trouvais ni inélégants ou indélicats mais presque trop expressifs. Reconnaissables entre tous, les produits de Reimonenq ont une touche très particulière et indéfinissable mélangeant des notes de boisé fondu, de noyau et de fruits exotiques. Ce profil si particulier est obtenu grâce à un appareil de distillation sur mesure et unique au monde, ainsi qu'à un art du vieillissement resté secret.

Le parfum de ce 6 ans d'âge est puissant et entêtant, il est à la fois végétal et pâtissier : végétal car on sent la fraîcheur de la canne, son côté herbacé, et puis pâtissier car on a des fruits confits, des fruits secs et des épices qui vont marquer fortement le nez et la bouche. On a également un boisé très doux mais aussi une certaine puissance qui fait que l'on ne tombe pas dans l'excès de confiture. La longueur en bouche est un vrai régal et nous suit un long moment. Ce rhum est vraiment un "must" et je pense que chaque amateur devrait goûter le style Reimonenq au moins une fois. Dépêchez vous car les prix augmentent...


AH Riise 

Spiced rum







Non je déconne, oh ça va on peut rigoler...







JM VSOP

Rhum agricole

On parle souvent de ce rhum comme d'une bonne porte d'entrée dans le monde des rhums agricoles. Et on a bien raison, sauf que c'est assez réducteur : on aurait tendance à penser qu'il est simple, rond et sans risque. Mais avec son âge respectable de 4-5 ans, c'est bien de la maturité et de la complexité qu'il nous propose. C'est aussi le savoir-faire de la maison JM que l'on déguste : la canne est pressée au plus vite après la récolte (moins d'une heure !), le jus part immédiatement en fermentation et il est distillé deux jours plus tard dans deux colonnes créoles traditionnelles. Le rhum est ensuite vieilli dans d'anciens fûts de Bourbon. Une fois de plus l'art de JM s'exprime au moment du vieillissement, rappelons qu'elle était la première distillerie à proposer des rhums vieux de plus de dix ans. Ses rhums millésimés de 10 et 15 ans sont d'ailleurs magnifiques mais ne rentrent malheureusement pas dans les tarifs qu'impose cet article.

L'équilibre et la justesse en font donc un rhum facile d'accès. Nous avons de la fraîcheur avec de la canne, des fruits frais, et puis un boisé fin habillé de tabac et d'épices. Le café est subtilement présent aussi bien au nez qu'en bouche. Cette dernière est gourmande tout en gardant une belle intensité grâce à un boisé toasté. Les fûts de bourbon sont brûlés de l'intérieur pour faire ressortir des éléments aromatiques (et colorants) qui seront différents en fonction de l'intensité de la chauffe. Ici on sent bien ces notes grillées, toastées, mais aussi la vanille qui émane du chêne lorsqu'on le chauffe. Vous l'aurez compris, ce VSOP est une belle introduction au rhum agricole vieux, mais pas que ! C'est aussi et surtout un super rhum tout court.


CHAMAREL - Double distilled

Pure single agricole rum

La distillerie Mauricienne propose des rhums tout à fait différents des rhums agricoles des Antilles Françaises que nous connaissons bien. Ce sont également des rhums de pur jus de canne frais, alors qu'est-ce qui fait qu'ils soient si différents ? Cela vient bien entendu d'un tas de paramètres, mais l'un d'eux est très important dans le cas présent : le mode de distillation. Chamarel distille une partie de ses rhums en colonne en cuivre, comme on le fait en Martinique ou en Guadeloupe, il s'agit d'une distillation continue. Elle pratique également la distillation discontinue (à repasse), comme on le fait pour le Cognac par exemple. Cette distillation se fait en deux passes dans un alambic en cuivre traditionnel et permet de sélectionner très précisément les arômes que l'on souhaite conserver en coupant au plus juste ce que l'on appelle les têtes et les queues de distillation, pour ne garder que le cœur de chauffe.

Cette méthode est celle qui a été utilisée pour ce rhum, et vous comprendrez à la dégustation pourquoi l'expression "eau-de-vie de canne" est celle que l'on a envie d'employer. Une impression de naturel ressort de ce rhum blanc : la fraîcheur de l'herbe coupée, les fruits exotiques à maturité, un côté terreux qui fait parler un sol riche et humide. Et puis la douceur en bouche continue de vous séduire, toujours frais et gourmand, le rhum fait saliver. Voici un rhum blanc vraiment charmant et une manière de découvrir une belle distillerie jeune et prometteuse.


RUM NATION - Jamaica - White Pot still

Pure single rum

*Attention ce rhum s'adresse à un public averti* Même un marin perdrait son cap avec celui-ci, il s'agit vraiment d'un rhum d'aventurier ou plutôt de chasseur de trésors. Filons un peu cette métaphore si vous le voulez bien : le chasseur de trésors passe par des rites initiatiques et ne recule pas devant les embûches semées sur la voie du trésor qui ne s'offrira qu'au plus valeureux. Bon d'accord, c'est un petit peu exagéré mais quand même, il faut avoir un peu d’expérience, et on peut être impressionné par cette petite bombe Jamaïcaine qui pourtant sait se montrer enjôleuse. Ce rhum de mélasse provient de la distillerie Worthy Park, la plus ancienne de la Jamaïque. Toujours accolée à sa sucrerie, la distillerie produit différents rhums qui sont travaillés "à l'ancienne" avec souvent de longues fermentations et une distillation en alambic traditionnel. 

Ce rhum fait partie des plus lourds (c'est-à-dire chargés en arômes) produits par Worthy Park. Ceci résulte avant tout de la fermentation qui est prolongée afin qu'un maximum d'arômes se développent et soient sélectionnés au moment de la distillation. Parmi ces arômes, les huiles de fusel qui donnent le fameux côté solvant des rhums de l'île. Voici donc une des embûches qui vous attendent au départ, mais que l'on oublie bien vite une fois le trésor découvert. Ce trésor est très généreux, il réchauffe, rafraîchit à la fois et brille de mille feux, étalant ses fruits exotiques en pagaille et ses épices amassées sur toutes les mers du monde. Alors êtes-vous prêts ?


TROIS RIVIERES - Triple millésime

Rhum agricole

Si vous ne connaissez pas les rhums agricoles, il est grand temps de vous y mettre. Tout comme le JM VSOP dont on parlait plus haut, ce rhum de Martinique constitue une très bonne porte d'entrée pour les rhums agricoles. Et tout comme son homologue du nord de l'île il ne se limite pas à cela. Cet assemblage est constitué de millésimes 1998, 2000 et 2007 vieillis au moins 7 ans dans des fûts de chêne Français et Américain. Il illustre le talent de maître de chai dans l'assemblage et dans l'art du vieillissement qui fait encore aujourd'hui la fierté de la maison. 

En pratique, la maîtrise du vieillissement permet d'obtenir des rhums aux profils différents, d'abord en fonction du rhum blanc de départ. Selon le caractère de celui-ci, on va estimer qu'il vieillira mieux dans un certain type de bois, dans un fût d'une certaine contenance etc. Et puis on décidera aussi de lui donner plus ou moins d'épices, de fruité ou de tanins en fonction de la durée de maturation, du brûlage du fut, et même de sa place dans le chai de vieillissement. Ensuite le talent de d'assembleur permet d'obtenir un rhum très équilibré, c'est-à-dire expressif et savoureux tout en étant facile à boire et sans agressivité, en combinant les différents rhums obtenus et leurs caractéristiques respectives. Ici on a tout ce que l'on peut attendre d'un rhum vieux : la fraîcheur de la canne et des fruits, la finesse du boisé et des épices, la gourmandise et la rondeur, et puis une longueur en bouche suffisante pour laisser l'esprit vagabonder dans la caraïbe. 


DOORLY'S - XO

Single blended rum

Voici de nouveau un grand classique à découvrir o-bli-ga-toi-rement (je viendrai vérifier hein !) et un autre grand équilibriste, cet équilibre étant la base de la philosophie des rhums de la Barbade. Nous sommes dans la catégorie des Single Blended Rums, c'est-à-dire des assemblages de rhums de distillation continue et discontinue d'une même distillerie. Cette classification a d'ailleurs été initiée par Richard Seale, patron de la distillerie Foursquare et producteur des rhums Doorly's entre autres, afin d'éclairer les amateurs sur les procédés de fabrication et l'authenticité des rhums qui leurs sont proposés. J'ai repris cette classification en italique tout au long de cette article *. Ce rhum a vieilli en fûts de bourbon et a été affiné en fûts de Sherry (Xérès) Oloroso, un vin blanc d'Andalousie auquel on ajoute de l'eau-de-vie et que l'on met à vieillir en fût. 

Le résultat est un rhum gourmand et complexe, avec du zeste d'orange, des raisins secs, une sensation de rondeur, mais aussi un boisé arrondi par la vanille et des épices douces mais fraîches. En finale on sent comme une petite note de noix, sûrement apportée par le fût de Sherry. Ce rhum est étonnant car on est parfois proche du rhum agricole avec cette vanille boisée et ces épices fraîches, et puis on repart ailleurs avec le zeste d'orange et les fruits secs ou confits. C'est rond sans être mou, intense sans être fort, ah, "équilibre" j'écris ton nom... Allez il est temps que cet article s'arrête, ça devient n'importe quoi.

Joyeuses fêtes de fin d'année à tous !


* Vous trouverez une présentation très complète de la classification ici : http://durhum.com/une-histoire-de-classification/ et une interview de Richard Seale qui nous donne quelques explications ici : http://blog.rhumattitude.com/?p=609

mardi 25 octobre 2016

Une journée en bonne compagnie

La Compagnie des Indes organisait en juin dernier un concours photo sur le thème de la fête des pères. A la clef, une journée « Master Blender » aux côtés du patron, Florent Beuchet. J’ai eu la chance d’accompagner le gagnant Mathieu, maître assembleur d’un jour, qui on le verra plus tard a de l’avenir dans le métier !

En route !

Petit réveil à 05h, train-metro-train et rendez-vous à la gare de Dijon au petit matin avec Florent et Florian son collaborateur. En route pour le Jura et la brasserie / distillerie Rouget de Lisle où se trouvent les locaux de La Compagnie. On profite de la route pour faire les présentations et parler du making-of de la photo gagnante de Mathieu et son père. Très vite évidemment ça commence à parler rhum, chacun évoque ses dernières découvertes, les nouveautés, les belles caves à découvrir et les sujets chauds du moment. Le trajet passe forcément très vite et nous voici arrivés à la brasserie qui est déjà à l’ouvrage : il fait chaud et ça sent le malt, on est bien !

Nous commençons par un petit tour du propriétaire et l’on entrevoit déjà quelques beautés comme ce fût marqué MPM fraichement réceptionné. Il ne se rend pas bien compte Florent, nous montrer l’air de rien un fût de Port Mourant comme ça, en toute décontraction, à 10h du matin ! Heureusement que l’on n’a pas le cœur trop fragile !


Plus loin, une cuve de mélasse qui servira prochainement à une première expérience de distillation. On en déguste quelques gouttes, c’est très épais, très noir et cela a un fort goût de réglisse. La brasserie est donc également dotée d’un bel alambic qui produit un superbe whisky vieilli en fûts de vin du Jura. Cet alambic servira ainsi prochainement à la première distillation de mélasse de la Compagnie. Cette mélasse devra être coupée avec 5 volumes d’eau avant d’être mise en fermentation avec des levures spécialement conçues, les levures utilisées pour les bières de la brasserie ne feront pas l’affaire.

Alors que nous continuons la visite en direction de la chaîne d’embouteillage et des fûts en vieillissement, nous parlons des projets en cours, notamment de la série des Boulets de Canon. Le concept des Boulets de canon est de travailler sur tout ce qui peut donner un goût fumé au Rhum. La première édition était composée d’un assemblage de rhums du Guyana, de la Barbade et de Trinidad ayant connu une finition en fût de Talisker (Whisky de l’île de Skye). La deuxième édition était plus marquée : le même assemblage était cette fois ci fini en fût de Whisky de l’île d’Islay (le tourbé Caol Ila). La troisième édition, en développement au moment de notre visite, est cette fois encore plus originale et même inédite. En effet, pas de finition cette fois mais une réduction avec une eau infusée aux thés parmi les plus fumés du marché : Le thé du tigre et le Tarry Lapscang Souchong.

Pour la suite, pas d’indice pour l’édition n°4, en revanche on sait que l’édition n°5 est un rhum Jamaïcain qui est d’ores et déjà en train de vieillir en fûts de Bunnahabhain (Whisky de l’île d’Islay). Vu l’enthousiasme des deux compères, cette édition sera à surveiller de très près. En ce qui concerne l’édition n°6, l’expérimentation sera poussée encore plus loin car des fûts (vides pour l’instant) sont actuellement préparés en fumoirs utilisés pour la charcuterie.

Atelier « Master blender »


Mais le temps passe et il est temps de se mettre au travail. Une table a été aménagée avec tout le nécessaire : verres, pipettes, éprouvettes, petits récipients, eau osmosée pour la réduction...et sept bouteilles de rhum, avec un beau dégradé de couleurs qui va jusqu'au transparent, cristallin. Elles sont simplement numérotées, pas d'origine indiquée, simplement l'âge pour certains et le titrage alcoolique. Et ces titrages impressionnent ! On démarre par un gentil 46% pour finir avec un petit blanc à 83%.


Ces bouteilles sont donc celles qui sont proposées à Mathieu pour effectuer son assemblage. Pour commencer il va falloir tous les goûter et prendre des notes, et comme ça me faisait mal au cœur de laisser Mathieu seul dans cette épreuve je lui ai proposé mon aide, normal.


Les rhums à assembler

Alors on attaque avec la bouteille numéro 1 : c'est funky, végétal, puissant, corsé. On sent que c'est un rhum plutôt lourd, on sent un peu d'épices et un côté un peu salé. A l'aération il devient de plus en plus confit. Déjà au nez on sent que l'on a un candidat sérieux. 

Nous nous sommes aussi lancés un petit challenge qui était de reconnaitre le contenu des bouteilles, ou au moins l'origine, avec un bonus si l'on trouvait la distillerie. Et bien là nous avons même poussé l'audace en proposant même un alambic précis : c'est un Port Mourant de Demerara Distillers Limited au Guyana ! On verra bien...

En bouche c'est aussi confit, façon cake aux raisins, et c'est long en finale. Intéressant !



Bouteille numéro 2, changement de décor. On a de la coco grillée, des fruits à coque grillés eux aussi, le tout est assez équilibré et moyennement puissant. 

On ne sait pas vraiment d'où vient ce rhum mais nous ne sommes pas tellement emballés. La coco grillée du départ faisait penser à la Barbade mais en bouche, le cacao, la mélasse, le café et le caramel nous amèneraient plutôt en Amérique du Sud. 

La finale est plutôt beurrée, assez grasse.

Nous gardons à l'esprit que même si un rhum ne nous plait pas forcément seul, il peut être utile à l'équilibre d'un assemblage.



Première petite pause : Florian nous apporte le dernier test du Boulet de Canon 3, avec une eau assez longuement infusée au thé fumé. Nous décidons de garder la dégustation pour plus tard car cela sent vraiment très fort le thé, cela risque de nous marquer trop fortement la bouche pour la suite.

Bouteille numéro 5 : (nous avons rangé les échantillons par degré d'alcool, la bouteille numéro 3 nous faisait trop peur et a été placée en dernière position par prudence.) 



Au nez c'est assez léger, floral, sur les fruits blancs. Une petite note de bubblegum va et vient, c'est de plus en plus fruité et acidulé. Le rhum prend de l'épaisseur avec le temps, il devient épicé et les fruits sont de plus en plus mûrs. 

Alors que nous ne savions pas du tout où nous étions au premier abord, nous penchons maintenant pour la Jamaïque, ce qui va se révéler assez évident à la mise en bouche, lorsqu'une grosse cuillerée de fruits exotiques va envahir notre palais. On ose même dire que cette bouche fait très Hampden (distillerie de Jamaïque qui produit des rhums très chargés en arômes).

Au tour de la bouteille numéro 6 : c'est plutôt léger au départ, on a un peu de boisé, que l'on avait pas senti jusqu'ici sur les autres bouteilles. Nous nous disons alors qu'il serait intéressant de garder cette particularité en tête si Mathieu souhaite ajouter un peu de boisé à l'assemblage. 



Par contre lorsque l'on essaie d'identifier la provenance, il y a un côté résineux, réglisse, un peu médicinal qui nous trouble. Les premiers embouteillages jamaïcains de La Compagnie des Indes (distillerie Worthy Park) avaient un côté médicinal prononcé. A la fois, le reste du profil ne rappelle pas la Jamaïque. En bouche, l'attaque ronde, suivie de boisé et de réglisse ne nous en dit pas plus.

On revient à la bouteille numéro 4 : mince, nous sommes encore perdus. Un nez discret et léger, même après un peu d'aération. Beaucoup de caramel brûlé ensuite. Pas mal d'amertume en bouche, du café, c'est astringent, asséchant en finale. Le caramel brûlé persiste. Nous sommes sûrs de notre coup : c'est un rhum d'Amérique latine ! On verra bien... 



Retour à un rhum bien corsé avec la bouteille numéro 7 : de la banane en premier, c'est un rhum lourd, on a de la pâte d'amande, de l'olive, de l'ananas, de la prune. Encore la Jamaïque ?? Bizarre...

En bouche on change vite d'avis : on est au Guyana c'est sûr. Nous penchons sur les colonnes de Diamond. Une impression d'eau-de-vie de prune, de la poire, une finale très intense et fruitée, super. Celle-ci on la garde !



Et enfin un monstre de rhum blanc, 83%, que l'on imagine brut de colonne ou d'alambic, l'échantillon numéro 3... *musique inquiétante*

Le monstre sait se montrer sous son meilleur jour : un joli nez de canne fraîche nous accueille, mais disparaît assez vite pour laisser place à un côté métallique et fumé. Il faut garder le nez assez loin du verre, sous peine d'être admis au service des grands brûlés qui n'ont sans doute pas beaucoup vu de victimes uniquement atteintes aux narines.

En bouche on a de la mûre et un côté agave, ainsi que du menthol en finale. Ça fourmille dans toute la bouche, j'y ai personnellement laissé ma lèvre inférieure.

Pas vraiment d'idée sur la provenance, on propose l'arrack puisque nous savons qu'il fait partie de l'assemblage Tricorne réalisé il y a quelque temps par la Compagnie.

Après ce tour d'horizon qui nous aura déjà pris une bonne heure et demie, c'est le tea time. Il est temps d'essayer le nouveau Boulet de Canon. Cette version est très marquée en thé, plus qu'en fumé d'ailleurs. On a l'impression d'un thé alcoolisé, difficile de trouver le rhum.

Justement Florian et Florent arrivent avec une deuxième dilution, moins infusée. L'équilibre est bien meilleur, le rhum passe en premier, puis le thé, et enfin une persistance fumée en bouche.
L’étape de la création


S'en suit alors une première tentative d'assemblage. Par où commencer ? Mathieu relit ses notes et essaie de classer les rhums par ordre de préférence. Ensuite il étudie la complémentarité de ceux-ci. Il choisir d'abord trois rhums : les numéros 5, 7 et 3, soit le Jamaïcain un peu bonbon pour le côté fun, le Guyanais pour la colonne vertébrale du blend et le rhum blanc pour son côté frais. 

De mon côté j'essaie de bricoler quelques essais avec 5 rhums différents, mais ça devient vite brouillon, il y a trop de combinaisons possibles.
Mathieu opte pour le 1/3 de chaque, puis il essaie plusieurs autres proportions. C'est assez difficile de conserver ce qui plaisait dans chaque rhum séparément. 

Florent nous rejoint et goûte deux propositions, et c'est un succès ! Mathieu reste finalement sur l'idée de départ, soit 1/3 de chaque et cela fonctionne très bien. Re-dégustation pour être sûr et c'est parti.

Entre temps le temps des révélations est venu, et en toute modestie je pense qu'on a été très bons !

Résultats de la dégustation à l’aveugle

Bouteille 1 : Port Mourant ! Yes !
Bouteille 2 : c'est bien l'Amérique du sud puisque l'on est au Panama.
Bouteille 3 : nous avions parié sur l'arrack, il y en avait aussi puisqu'il s'agissait du Tricorne "brut de colonne"

Bouteille 4 : un gros loupé, nous pensions que c'était un rhum d'Amérique latine mais il s'agissait en fait d'un blend Caraïbes, référence phare de La Compagnie des Indes, composé de rhums du Guyana, de la Barbade et de Trinidad.

Bouteille 5 : il s'agit bien de la Jamaïque, en l'occurrence du blend de la Compagnie avec une dominante Hampden.
Bouteille 6 : un autre blend : le Latino, avant tout à base de rhum du Guatemala.
Bouteille 7 : un autre bon point puisque l'on était bien au Guyana, avec un mélange de Diamond et d'Uitvlugt.

Ce n'était pas un sans faute mais à notre décharge il n'était pas évident d'identifier les blends Caraïbes et Latino dont les profils étaient extrêmement différents sans dilution ni sucre. Mais nous nous en sommes sortis avec les félicitations de Florent et Florian, donc assez fiers.

Un petit test a été effectué avec quelques gouttes de sucre de canne liquide mais cela ne s'est pas avéré nécessaire. Place maintenant à la réduction (pour abaisser le taux d'alcool qui est pour l'instant autour des 70%). Mathieu opte pour un degré d'alcool assez élevé, aux environs des 60%, ce qui correspond à ses préférences en général.

Avant réduction, on retrouvait au nez le côté acidulé du blend Jamaïcain et beaucoup de fruits mûrs. En bouche était fortement influencée par le fruité du Diamond, et on avait de la banane, un côté beurré et finalement épicé et toasté. 



Réduisons un peu tout de même…

Grâce à une table de conversion, Florent fixe les quantités d'eau et de rhum souhaitées pour obtenir 140cl d'un assemblage à 60%. Il faut également savoir que l'on n’obtiendra pas 20 cl si l’on mélange 10 cl d’eau et 10 cl de rhum. Les molécules se "marient" et on obtiendra une quantité un peu moindre.

Pour la réduction, on utilise une eau assez froide car lorsque l'on la mélange avec de l'alcool une réaction de chaleur se produit, ce qui pourrait casser les arômes. Cette réduction doit également se faire tout doucement, avec un filet d'eau, toujours dans le but de préserver le rhum. Il s'agit ici d'une toute petite quantité donc on le fait en une seule fois et on agite doucement le mélange. 

En réalité la réduction sur un fût ou une cuve se fait plus lentement, en plusieurs fois, avec un système de brassage doux, voire à la main. En effet Florent utilise parfois une palette servant au brassage de la bière pour brasser les plus petits fûts. 

On contrôle ensuite le taux d'alcool grâce à un appareil devenu célèbre chez les amateurs, et le résultat est de 59,8%. Parfait, nous sommes même dans la légalité puisque l'écart permis entre le taux d'alcool sur l'étiquette et le taux réel est de 0,3%.

Après réduction on a plus de canne au nez, moins de bubblegum et plus de vanille. En bouche le fruité domine toujours ainsi que la banane. C’est toujours boisé et fumé en finale.

Pas de changement fondamental après réduction, c’est surtout le nez qui a été remanié. On retrouve les mêmes notes mais ce ne sont plus les mêmes qui dominent.

La touche finale


Et voilà ! Il n'y a plus qu'à mettre en bouteille. Florent concocte une petite étiquette, voilà deux magnifiques bouteilles de la Cuvée Esper ! Direction l’atelier cirage maintenant, vous verrez sur les photos que nous avons encore quelques progrès à faire. Mais finalement Mathieu, qui n’a pas craché lors des dégustations (oui je balance, ce mec est un surhomme, personnellement même en crachant j’étais K.O. !), s’en sort quand même avec les honneurs.



Quelques indiscrétions venues des chais…


Après l’effort, le réconfort, nous reprenons la visite là où nous l’avions laissée, du côté des fûts en vieillissement. Il y a beaucoup de choses ici : des finish en cours, des rhums qui se reposent, des expérimentations, comme par exemple un rhum de Floride qui finit de vieillir en fût de Sauternes. Parmi ces essais il y a malheureusement des ratés, comme ce rhum vieilli en fut de Petrus. Le fût a été méché, c'est-à-dire soufré afin de l’aseptiser. Le rhum a un fort arôme de soufre qui s’apparente à de l’œuf pourri.



Florian nous propose de goûter à plusieurs essais de finishs d’un assemblage de rhums distillés en 2007 chez DDL au Guyana : Porto, Sherry, Madeire et Moscatel. Pas de chichi, le rhum est tiré de façon « traditionnelle », c'est-à-dire siphonné avec un gros tuyau !

Dernière mission de la journée : réaliser l’assemblage et la réduction d’une nouveauté à sortir en fin d’année : L’Oktoberum. Il s’agit d’un assemblage de rhums Jamaïcains d’au moins 5 ans qui a été vieilli en fûts de bière. Il y avait au départ 3 fûts : 2 ayant contenu du Macvin (vin de liqueur du Jura) et un ayant contenu du vin jaune. Ces trois fûts ont ensuite contenu du whisky pendant 7 ans et enfin de la bière pendant 3 ans. On avait laissé la lie de la bière (une grosse couche) au fond d’un des fûts.

Nous avons pu déguster ce fût et la lie apporte un côté levure, brioche, voire tabac blond que j’ai beaucoup apprécié. La cuve dans laquelle avaient déjà été mélangés les deux premiers futs présentait le même profil mais moins marqué. Nous avons donc transféré le troisième fût dans la cuve et apporté une partie d’eau osmosée pour la réduction. Je suis désormais bien curieux de goûter à la version définitive !


Et voilà, une photo souvenir, un petit coup de balai, une bonne bière pression de la brasserie et nous reprenons la route pour Dijon après cette belle journée. Mathieu mérite définitivement son titre de Master Blender, son assemblage est vraiment excellent. Un grand merci à Florent et Florian pour leur accueil et pour le partage. Bravo pour cette chouette initiative qui a fait le bonheur de Mathieu et dont le compte-rendu, je l’espère, vous aura plu.  On retrouvera bientôt La Compagnie des Indes avec de jolis single cask qui arriveront en fin d’année.


dimanche 25 septembre 2016

Retour sur le salon France Quintessence


Les 11 et 12 Septembre derniers se tenait la deuxième édition de France Quintessence, le salon des spiritueux de France. De grandes maisons étaient présentes, ainsi que de plus petits artisans de Cognac, Armagnac, Calvados, Whisky, Fine, liqueurs et eaux-de-vie en tous genres.


Quand on aime le rhum, il est toujours intéressant d'aiguiser son palais sur d'autres produits. On se rend compte qu'en dégustation à l'aveugle il serait très facile de se tromper. On essaie alors de se concentrer un peu plus sur la structure de l'eau-de-vie, sur sa colonne vertébrale. Par exemple, les notes aromatiques fumées, boisées ou épicées provenant du fût sont présentes dans un tas de spiritueux. Il faut alors saisir l'esprit du distillat d'origine et aller plus profondément dans la dégustation pour tenter de définir ce qui fait son essence. C'est bien sûr passionnant et enrichissant, cela permet de mieux parler du rhum, de mieux comprendre un profil aromatique.


Aux côtés des curiosités comme l'eau-de-vie d'olive ou la crème d'alcool au lait de chèvre, d'excellents alcools blancs ou très vieux, et quand même un peu de rhum ! Les grandes maisons Martiniquaises étaient représentées : Clément, La Mauny et JM, mais pas de nouveautés cette fois ci.

Il a fallu sortir des sentiers battus et aller dénicher la pépite tel un orpailleur brésilien, à la manière d'un Indiana Jones... ou d'un Bernard Lavilliers. Bon, en fait il s'agissait de se promener sur la moquette épaisse d'un salon chic du pavillon Ledoyen au bord des Champs-Elysées, un petit verre de dégustation à la main.


L'aventure m'a d'abord mené chez Bapt & Clems, embouteilleur indépendant émanant de la maison d'Armagnac Darroze.
 
Ils présentaient ici trois rhums sélectionnés dans des distilleries que j'apprécie particulièrement, Savanna (Réunion) et Reimonenq (Guadeloupe). Ces rhums sont sélectionnés directement dans les chais des distilleries et simplement réduits et embouteillés dans les Landes.

Les embouteillages indépendants de Reimonenq fleurissent ces jours ci, que ce soit en Suisse chez JB Labat ou tout récemment avec la belle réussite de la boutique A'Rhum à Paris. Quant-à Savanna, c'est la première fois que je goûte à autre chose qu'un embouteillage officiel.

Ce Savanna 12 ans (45%) est un rhum de mélasse typique, avec un fort nez de sucre brun, muscovado. L'entrée en bouche est très douce, miellée, puis le sucre brûlé prend le pas avec un boisé bien brûlé lui aussi. Cela se termine sur le caramel.

Le premier Reimonenq dégusté a été distillé en 2009 et embouteillé en 2016. Il est très marqué par le style habituel de la distillerie de Basse-Terre, soit un boisé confit extrêmement parfumé. Les 46% sont très doux en bouche, celle-ci est même un peu trop épaisse et l'exubérance des arômes est sans doute un peu "too much", ce qui rend le tout un peu doucereux. Cette faiblesse est compensée par une grande longueur en bouche, très très gourmande.



Le deuxième a été distillé en 1999 et embouteillé en 2016, on est à peu près dans le compte d'âge de la cuvée RQL actuelle de la même distillerie. Là où c'est intéressant c'est que malgré ses 41%, il est beaucoup plus puissant que son petit frère. On sent qu'il y a eu plus d'oxydation, la "sauce" Reimonenq est moins présente, c'est beaucoup plus sec et épicé qu'à l'accoutumée. Là où le RQL (embouteillage officiel de la marque) peut être un peu entêtant, celui-ci compense la douceur avec un boisé fumé à la fois fin et profond. La bouche est assez vive et fruitée, le rhum est équilibré et complexe, c'est tout simplement délicieux !

Malheureusement le prix annoncé est plus qu'à la hauteur du bijou et s'envole vers des cieux dépassant de loin mes barrières psychologiques.


Petit passage chez Manguin, distillateur de poire basé à Avignon, qui présente le Caraxes. Il s'agit d'un spiritueux à base de poire williams et de rhums de Trinidad et de la Barbade. L'apport du rhum est infime, le but étant simplement d'arrondir la finale de l'eau-de-vie de poire, qui par ailleurs donne une impression de naturel et de proximité du fruit assez saisissante. L'assemblage est frais au départ, avec une finale très ronde et sucrée. Cette finale suggère à l'inconscient collectif la sucrosité du rhum, il y a encore du chemin à faire pour un retour à des rhums moins édulcorés (rappelons qu'à la sortie de l'alambic, aucun sucre ne subsiste. Tout ce que l'on peut sentir comme sucre est forcément ajouté par la suite).


Et voici ma fameuse pépite ! Il s'agit de La Part des Anges Distillation qui produit des eaux-de-vie de fruits à La Saline, près de Saint Gilles, sur l'ile de la Réunion. Leur dernière création en date est un rhum agricole obtenu à partir d'une variété de canne rose (canne de bouche) issue d'une parcelle en cours de conversion biologique. Il s'agit donc d'une eau-de-vie de pur jus de canne, la fermentation se fait de façon spontanée (sans ajout de levure industrielle) et la distillation est effectuée dans un petit alambic artisanal.

Ce Sublim'Canne est très naturel, frais et doux à la fois, rond et délicat. Au nez, en plus de la canne, on a des agrumes et un poivre léger. L'attaque en bouche est très fondue, et j'ai trouvé une sorte de châtaigne en milieu de bouche, qui évolue dans le même registre jusqu'à une finale sur le marron glacé. C'est d'une gourmandise vraiment très agréable. On pense à une aguardente de Madeire ou un grogue du Cap-Vert. On serait tenté de penser également à un Clairin, du côté de la première version du Sajous, mais ses 45% en font tout de même un produit plus doux et léger.


Je me suis arrêté sur le stand de Ced dont tout le monde connait les arrangés aux petits oignons (c'est une expression hein). Je n'avais jamais eu l'occasion de goûter son Ti'Original Ti'Punch, étant au départ réticent au concept de ti-punch en bouteille car son rituel de préparation fait partie intégrante de la tradition antillaise. Puis connaissant les talents de l'homme je me suis dit que je ne risquais pas grand chose à goûter. Déjà le menu est intéressant car le rhum utilisé a été élevé 6 mois en fûts de Sauternes et 3 types de sirops ont été utilisés (blanc, brun, sirop de batterie). Le citron est pressé car, les amateurs de rhums arrangés en conviendront, il est très difficile de gérer une macération d'agrumes entiers.



Au nez, le dosage fait bonne impression, pas de surdose en citron ou en sucre. La bouche est un peu sucrée, personnellement je bois mes ti-punch plus secs, mais il y a un vrai bon goût de rhum blanc, encore une fois le tout est bien dosé et on a une vraie longueur de ti-punch en bouche. C'est sûrement cette finale qui m'a le plus convaincu d'ailleurs. Une belle surprise que ce ti-punch, sympa à emporter chez des amis ou pour un apéritif à la plage ! 



Pour finir, j'ai pris le temps de déguster à nouveau le rhum bio Tahitien Mana'o que j'avais découvert au RhumFest. Il est tiré d'une variété de canne polynésienne dont la culture a été relancée après de longues recherches. Le jus est mis en fermentation sans adjonction d'eau et la distillation est discontinue, ce qui promet des arômes riches et puissants.

Ce rhum a décidément un superbe parfum, très poivré, herbacé, sur la fibre de la canne, il est puissant et distille ses arômes par vagues chaleureuses. En bouche il est très vif, fin, pas du tout gras, il est précis sur la langue. En fin de bouche, une note très caractéristique de réglisse apparait, c'est un peu la signature de ce rhum.
Le verre vide offre un mélange de carvi et d'anis, d'épices indiennes (vous savez, les petites graines que l'on vous offre parfois en fin de repas)

Le vieillissement des premiers jus est en cours depuis deux ans, notamment en fûts d'Armagnac, je suis impatient de voir ce que la puissance des arômes et la signature réglissée et anisée vont nous donner !

Le rhum n'était pour une fois pas la grande vedette du salon mais je suis heureux d'avoir pu découvrir ces petites pépites et curiosités. Comme d'habitude la passion des plus petits producteurs et des véritables artisans est communicative et c'est toujours un plaisir et un enseignement de les écouter parler de leur bébé et de leurs projets.