Quand on aime le rhum, il est toujours intéressant d'aiguiser son palais sur d'autres produits. On se rend compte qu'en dégustation à l'aveugle il serait très facile de se tromper. On essaie alors de se concentrer un peu plus sur la structure de l'eau-de-vie, sur sa colonne vertébrale. Par exemple, les notes aromatiques fumées, boisées ou épicées provenant du fût sont présentes dans un tas de spiritueux. Il faut alors saisir l'esprit du distillat d'origine et aller plus profondément dans la dégustation pour tenter de définir ce qui fait son essence. C'est bien sûr passionnant et enrichissant, cela permet de mieux parler du rhum, de mieux comprendre un profil aromatique.
Aux côtés des curiosités comme l'eau-de-vie d'olive ou la crème d'alcool au lait de chèvre, d'excellents alcools blancs ou très vieux, et quand même un peu de rhum ! Les grandes maisons Martiniquaises étaient représentées : Clément, La Mauny et JM, mais pas de nouveautés cette fois ci.
Il a fallu sortir des sentiers battus et aller dénicher la pépite tel un orpailleur brésilien, à la manière d'un Indiana Jones... ou d'un Bernard Lavilliers. Bon, en fait il s'agissait de se promener sur la moquette épaisse d'un salon chic du pavillon Ledoyen au bord des Champs-Elysées, un petit verre de dégustation à la main.
L'aventure m'a d'abord mené chez Bapt & Clems, embouteilleur indépendant émanant de la maison d'Armagnac Darroze.
Ils présentaient ici trois rhums sélectionnés dans des distilleries que j'apprécie particulièrement, Savanna (Réunion) et Reimonenq (Guadeloupe). Ces rhums sont sélectionnés directement dans les chais des distilleries et simplement réduits et embouteillés dans les Landes.
Les embouteillages indépendants de Reimonenq fleurissent ces jours ci, que ce soit en Suisse chez JB Labat ou tout récemment avec la belle réussite de la boutique A'Rhum à Paris. Quant-à Savanna, c'est la première fois que je goûte à autre chose qu'un embouteillage officiel.
Le premier Reimonenq dégusté a été distillé en 2009 et embouteillé en 2016. Il est très marqué par le style habituel de la distillerie de Basse-Terre, soit un boisé confit extrêmement parfumé. Les 46% sont très doux en bouche, celle-ci est même un peu trop épaisse et l'exubérance des arômes est sans doute un peu "too much", ce qui rend le tout un peu doucereux. Cette faiblesse est compensée par une grande longueur en bouche, très très gourmande.
Le deuxième a été distillé en 1999 et embouteillé en 2016, on est à peu près dans le compte d'âge de la cuvée RQL actuelle de la même distillerie. Là où c'est intéressant c'est que malgré ses 41%, il est beaucoup plus puissant que son petit frère. On sent qu'il y a eu plus d'oxydation, la "sauce" Reimonenq est moins présente, c'est beaucoup plus sec et épicé qu'à l'accoutumée. Là où le RQL (embouteillage officiel de la marque) peut être un peu entêtant, celui-ci compense la douceur avec un boisé fumé à la fois fin et profond. La bouche est assez vive et fruitée, le rhum est équilibré et complexe, c'est tout simplement délicieux !
Malheureusement le prix annoncé est plus qu'à la hauteur du bijou et s'envole vers des cieux dépassant de loin mes barrières psychologiques.
Petit passage chez Manguin, distillateur de poire basé à Avignon, qui présente le Caraxes. Il s'agit d'un spiritueux à base de poire williams et de rhums de Trinidad et de la Barbade. L'apport du rhum est infime, le but étant simplement d'arrondir la finale de l'eau-de-vie de poire, qui par ailleurs donne une impression de naturel et de proximité du fruit assez saisissante. L'assemblage est frais au départ, avec une finale très ronde et sucrée. Cette finale suggère à l'inconscient collectif la sucrosité du rhum, il y a encore du chemin à faire pour un retour à des rhums moins édulcorés (rappelons qu'à la sortie de l'alambic, aucun sucre ne subsiste. Tout ce que l'on peut sentir comme sucre est forcément ajouté par la suite).
Et voici ma fameuse pépite ! Il s'agit de La Part des Anges Distillation qui produit des eaux-de-vie de fruits à La Saline, près de Saint Gilles, sur l'ile de la Réunion. Leur dernière création en date est un rhum agricole obtenu à partir d'une variété de canne rose (canne de bouche) issue d'une parcelle en cours de conversion biologique. Il s'agit donc d'une eau-de-vie de pur jus de canne, la fermentation se fait de façon spontanée (sans ajout de levure industrielle) et la distillation est effectuée dans un petit alambic artisanal.
Ce Sublim'Canne est très naturel, frais et doux à la fois, rond et délicat. Au nez, en plus de la canne, on a des agrumes et un poivre léger. L'attaque en bouche est très fondue, et j'ai trouvé une sorte de châtaigne en milieu de bouche, qui évolue dans le même registre jusqu'à une finale sur le marron glacé. C'est d'une gourmandise vraiment très agréable. On pense à une aguardente de Madeire ou un grogue du Cap-Vert. On serait tenté de penser également à un Clairin, du côté de la première version du Sajous, mais ses 45% en font tout de même un produit plus doux et léger.
Je me suis arrêté sur le stand de Ced dont tout le monde connait les arrangés aux petits oignons (c'est une expression hein). Je n'avais jamais eu l'occasion de goûter son Ti'Original Ti'Punch, étant au départ réticent au concept de ti-punch en bouteille car son rituel de préparation fait partie intégrante de la tradition antillaise. Puis connaissant les talents de l'homme je me suis dit que je ne risquais pas grand chose à goûter. Déjà le menu est intéressant car le rhum utilisé a été élevé 6 mois en fûts de Sauternes et 3 types de sirops ont été utilisés (blanc, brun, sirop de batterie). Le citron est pressé car, les amateurs de rhums arrangés en conviendront, il est très difficile de gérer une macération d'agrumes entiers.
Au nez, le dosage fait bonne impression, pas de surdose en citron ou en sucre. La bouche est un peu sucrée, personnellement je bois mes ti-punch plus secs, mais il y a un vrai bon goût de rhum blanc, encore une fois le tout est bien dosé et on a une vraie longueur de ti-punch en bouche. C'est sûrement cette finale qui m'a le plus convaincu d'ailleurs. Une belle surprise que ce ti-punch, sympa à emporter chez des amis ou pour un apéritif à la plage !
Pour finir, j'ai pris le temps de déguster à nouveau le rhum bio Tahitien Mana'o que j'avais découvert au RhumFest. Il est tiré d'une variété de canne polynésienne dont la culture a été relancée après de longues recherches. Le jus est mis en fermentation sans adjonction d'eau et la distillation est discontinue, ce qui promet des arômes riches et puissants.
Ce rhum a décidément un superbe parfum, très poivré, herbacé, sur la fibre de la canne, il est puissant et distille ses arômes par vagues chaleureuses. En bouche il est très vif, fin, pas du tout gras, il est précis sur la langue. En fin de bouche, une note très caractéristique de réglisse apparait, c'est un peu la signature de ce rhum.
Le verre vide offre un mélange de carvi et d'anis, d'épices indiennes (vous savez, les petites graines que l'on vous offre parfois en fin de repas)
Le vieillissement des premiers jus est en cours depuis deux ans, notamment en fûts d'Armagnac, je suis impatient de voir ce que la puissance des arômes et la signature réglissée et anisée vont nous donner !
Le rhum n'était pour une fois pas la grande vedette du salon mais je suis heureux d'avoir pu découvrir ces petites pépites et curiosités. Comme d'habitude la passion des plus petits producteurs et des véritables artisans est communicative et c'est toujours un plaisir et un enseignement de les écouter parler de leur bébé et de leurs projets.