mardi 4 juin 2019

Magnifica Cachaça !


C'est étrange comme notre découverte des eaux-de-vie de canne peut parfois prendre des chemins détournés. Notre quête nous a récemment menés vers des destinations toujours plus exotiques, comme le Japon, la Thaïlande, le Vietnam, ou encore vers un retour aux racines avec le Cap-Vert, Madère ou Haïti. 
Pendant tout ce temps, il semble que l'on ait un peu oublié la cachaça, un monde à part entière, mais pour ainsi dire inexploré.

D'une part, des centaines de petites et moyennes distilleries brésiliennes ont malheureusement été éclipsées par des mastodontes industriels, d'où sortent des alcools quasi neutres dont on fait des caïpirinhas fades pour happy hours.
D'autre part, le problème est que même en s'y intéressant un peu (on trouve bien quelques jolies choses chez Abelha, Germana, ou Engenho Da Vertente), on se retrouve vite ennuyé par un excès de délicatesse qui limite son intérêt en dégustation pure, surtout si on la compare avec les clairins ou les grogues par exemple.


Encore une fois, les marques de qualité qui parviennent jusqu'à nous (je parle de la France ; l'Allemagne semble plus curieuse et mieux lotie en la matière) ne représentent qu'une part infinitésimale de la production brésilienne. On peut donc imaginer qu'il existe des choses plus intenses, plus charnues, plus excitantes, et j'ai tout récemment constaté que c'est le cas !
Mon regain d'intérêt pour la cachaça a commencé lorsque Jérôme de l'Adresse Gourmande (Les Clayes sous Bois - 78) m'a mis sous le nez une drôle de petite bombe non identifiée :

- "Mmmm... c'est un nouveau clairin ?" 
- "Non ce serait trop facile..." 
- "Un grogue ?" 
- "Non plus..."
- "Une nouvelle curiosité asiatique ?"
- "..."
- "Ce côté truffé, ça rappelle ce que font les petites distilleries de métropole, ce n'est pas de la mélasse quand-même ?"
(Sourire satisfait de Jérôme)
- "Tu es complètement paumé hein ?"
- "...merde alors..."
- "C'est une cachaça"
- "...merde alors !"
Cette petite anecdote représente bien le sentiment qui s'était installé chez moi vis à vis de la cachaça, je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse exister un truc aussi sauvage, aussi puissant, aussi funky, aussi bandant quoi ! Cette Bica do Alambique de Magnifica nous montre bien que le Brésil concentre un large éventail de profils, découlant de traditions, de méthodes et de terroirs différents.


La cachaça va certainement avoir beaucoup de choses à nous dire dans les années à venir, donc merci par avance aux découvreurs qui vont nous dévoiler cet univers !

Revenons un peu aux origines si vous le voulez bien, avec une brève histoire de cette eau-de-vie de pur jus de canne.

Une brève histoire de la cachaça 


Dès le début du XVIème siècle, les portugais ont exporté des plants de canne à sucre depuis Madère jusqu'au nouveau monde. Très tôt, ils ont fabriqué un vin de canne qui a été vivement apprécié des agriculteurs et de leurs esclaves. La distillation est arrivée dans la foulée, mais au lieu d'utiliser ce fameux vin de canne, on a distillé les écumes produites par la cuisson du jus de canne pour la fabrication du sucre. Ce tord-boyaux était uniquement donné aux esclaves pour leur faire oublier la soif, la chaleur et l'horreur de leur condition.

Les propriétaires de fermes ont ensuite réalisé que la distillation du vin de canne donnait de très bonnes choses, et ce que l'on a commencé à appeler cachaça a gagné peu à peu ses lettres de noblesse. Sa réputation en dehors du pays en a même fait une monnaie d'échange prisée dans l'ignoble commerce triangulaire.

Comme beaucoup de produits coloniaux, elle a concurrencé les denrées venues du vieux continent, et comme toujours dans ces cas là, les producteurs d'aguardente (eau-de-vie) portugais en ont réclamé l'interdiction. La couronne du Portugal, après avoir tenté (sans succès) une interdiction au XVIIème siècle, a finalement opté pour une lourde taxation au cours du XVIIIème.
Cette hausse des prix, plutôt que de tuer la cachaça, a eu sur elle un effet inattendu. Pour que ce prix soit justifié, les distillateurs se sont appliqué et ont affiné leurs méthodes, créant ainsi des eaux-de-vie de qualité exceptionnelle. Si bien qu'en quelques années la cachaça s'est retrouvée aux plus grandes tables de la cour.

Après l'indépendance du Brésil et l'abolition de l'esclavage a cours du XIXème siècle, la cachaça a marqué un temps d'arrêt relatif, car si elle n'était plus consommée au Portugal, elle était toujours largement produite et ancrée dans la culture brésilienne. Elle est longtemps restée une boisson populaire boudée par les élites, jusqu'à une réhabilitation progressive au cours du XXème siècle.
Aujourd'hui, on recense plus de 1500 distilleries officiellement enregistrées (et sans doute un nombre encore plus important de petits distillateurs "maison") et les volumes produits sont les mêmes que pour ceux des rhums des Caraïbes et de l'Amérique Latine réunies.

Qu'est-ce que la cachaça ?

La cachaça est une proche parente du rhum agricole puisque c'est une distillation de pur jus de canne fermenté exclusivement. Quelques détails l'en différencient cependant. Nous allons parler de la cachaça traditionnelle ("do alambique") en écartant volontairement la cachaça industrielle qui est une sorte de vodka de canne issue de grands complexes multi-colonnes.


La fermentation du jus de canne fraîchement pressé se fait la plupart du temps en contenant ouvert, avec des levures spontanément présentes dans le jus et dans l'environnement, ou des levures cultivées spécialement. On peut utiliser des "boosters" de fermentation comme du maïs, du riz, ou encore du jus de citron pour acidifier le moût. Cette fermentation est en général assez courte, elle tourne autour de 24 heures. À l'issue de cette durée, on distille en général les 3/4 du moût et on garde le dernier quart comme mère de fermentation durant toute la saison

La distillation se fait avec des petits alambics à repasse en cuivre, mais la simple passe est également pratiquée. Réduite à un degré compris entre 38% et 48%, la cachaça est mise au repos dans des foudres de bois (souvent d'essences locales) durant quelques mois avant d'être embouteillée (avec une édulcoration permise à hauteur de 6 g/L).
Ceci est la méthode la plus répandue, mais il existe une infinité de variantes, certaines cachaças sortant même localement de leur cahier des charges pour titrer à plus de 50% par exemple.

La cachaça Magnifica de Faria

Joao Luiz de Faria est l'une des personnes à l'origine du renouveau de la cachaça comme produit haut de gamme. Grand amateur de spiritueux, et surtout de whisky, il a vu il y a 35 ans avec l'ouverture de l'économie brésilienne une occasion de hisser l'eau-de-vie nationale au niveau du rhum ou du Cognac.
Tout a été mis en place pour faire une cachaça de grande qualité, depuis la plantation de la canne jusqu'à l'élevage en fût. Les débuts ont été difficiles car le soin apporté à la production a occasionné des coûts importants pour la petite fazenda (ferme). Sa cachaça a connu un grand succès d'estime mais elle était 10 fois plus chère que ses concurrentes d'entrée de gamme.
Petit à petit, sa qualité lui a permise de s'introduire dans les meilleurs bars et restaurants, jusque dans une petite chaîne anglaise de restaurants qui a changé la donne. Les caïpirinhas des restaurants Las Iguanas ont connu un succès retentissant qui a rayonné jusqu'en Angleterre, permettant ainsi à Magnifica de commencer à conquérir l'Europe. Elle est présente en France depuis maintenant 2 ans.

Magnifica est une cachaça "single estate", ce qui signifie qu'elle est produite à 100% à partir des cannes de l'exploitation, et que toutes les autres étapes de sa production sont réalisées sur le site.
La fazenda se trouve dans les montagnes de l’État de Rio de Janeiro, elle dispose donc de parcelles aux inclinaisons et aux altitudes différentes, pour une riche diversité de sa matière première.


La fermentation se déroule sur 18 heures en moyenne, en cuves inox, à l'aide d'une culture de levures autochtones. Ici, pas d'ajout de maïs ni d'autres intrants extérieurs. 
La distillation se fait dans un "triple" alambic "pot-still" : la première cuve fait en réalité office de chauffe vin, puis le jus fermenté passe dans la deuxième cuve. De cette première distillation, on conserve le cœur de chauffe, les têtes et les queues sont ensuite re-distillées dans la troisième cuve. Le distillat qui sera mis au repos ou en vieillissement est donc un assemblage des distillats des deux cuves, qui titre en moyenne à 49%. La distillerie dispose de foudres d'ipê pour le repos et d'ex-fûts de bourbon pour le vieillissement. Elle ne pratique d'édulcoration sur aucun de ses embouteillages.


Bica do alambique - 48%

Une cachaça blanche qui a subi une très légère réduction pour entrer dans le cahier des charges de la cachaça (maximum 48%). Elle est "presque" brut d'alambic car elle s'écoule de celui-ci à 49%.

Le nez est puissant, avec une canne dense et organique, à la façon d'un clairin. Sa générosité est contenue et ne cède pas à un côté trop sauvage. Tout cela est dompté, maîtrisé, encadré. On décèle un côté terreux, truffé, des arômes que l'on rencontre habituellement sur des rhums de longue fermentation. Le vesou est riche, légèrement acide et iodé, avec également un aspect très rhum agricole, fait de zeste de citron vert et de bagasse poivrée.
Le temps adoucit considérablement le profil et nous mène à une canne moelleuse, douillette. Elle s'est débarrassée de son caractère fermier, au profit d'un sirop de canne bien velouté.

En bouche, l'attaque est présente mais équilibrée, plutôt ronde, avec une canne qui se déploie immédiatement en gras et en végétal. L'acidité et l'aspect iodé prenn
ent le relais pour étreindre la langue un instant, avec une pointe de poivre léger. Les notes les plus organiques arrivent après cela, accompagnées d'une sensation cuivrée et d'une pointe d'olive.

La finale se prolonge sur le vesou fermenté et l'olive en saumure, le gras de la cachaça ne quitte pas le palais. Quelques notes d'épices et de réglisse s'accrochent dans la longueur.

Une eau-de-vie de canne spontanée et naturelle, sans recherche particulière de sophistication mais avec tout de même une impression de maîtrise. Cette cachaça est à mille lieues de ce que j'avais pu déguster jusqu'ici dans cette catégorie, elle apporte une sensation de vrai, de canne intense et de terroir.

Tradicional - 40%

Cette cachaça a connu un repos de 18 mois en foudre d'ipê, une essence de bois du Brésil.

Le premier nez est doucement végétal, un peu miellé, avec une canne qui semble presque résineuse. Cette patine de résine est portée par une touche de solvant qui apporte son petit coup de fouet et qui conserve ainsi notre attention. C'est un nez assez typique d'eau-de-vie de pur jus ayant connu un petit passage sous bois : on conserve la fraîcheur de la canne, avec un petit boisé épicé et des notes fruitées un peu confites ou compotées. L'aération insiste davantage sur l'écorce et la bagasse, le jus de canne devient un peu plus piquant et poivré. Le tableau est maintenant complet et plutôt réussi.

La bouche est délicate, la canne file droit sur le palais avec une traîne d'épices, de fruits et de réglisse. Elle ne s'attarde pas trop en chemin, et bien que lumineux, son passage reste rapide. Elle aura tout de même pris le soin de laisser quelques éclats de canne moelleuse et de cassonade.

En finale, on retrouve les notes les plus lourdes de la fermentation, avec une touche cuivrée, iodée, et un peu d'olive.



Cette cachaça nagera aisément en caïpirinha, avec sa canne concentrée et ses épices. Elle est en revanche un peu juste en dégustation pure car un peu pressée d'en finir.

Envelhecida - 43%

Une cachaça reposée 1 an en foudre d'ipê, puis vieillie 3 ans en ex-fûts de bourbon, sans ouillage.

Au nez, il est intéressant de voir qu'un pur jus de canne puissant peut encore en imposer après 4 ans de vieillissement. Bien que transformée par le bois, la canne est toujours souveraine et transmet sa fraîcheur végétale. Ce nez est très vert, et nous emmène aussi bien du côté de l'herbe grasse que de celui du maquis ou de la forêt tropicale.
L'aération apporte des arômes complexes, de bois ciré, de noyau, de fruits exotiques charnus comme la mangue. Le chêne américain patiente sagement dans le fond, mais il est comme envahi par une résine fraîche et herbacée. Il n'aura certainement pas l'occasion d'étaler toute sa vanille. La concentration est étonnante, elle est soutenue par une sensation cuivrée qui se mêle aux noyaux et aux noix discrètement grillées.

La bouche est douce, bien plus clémente que ce que l'on pouvait attendre. Elle déverse une eau-de-vie chaleureusement florale, avec une canne couverte de nombreuses couches d'apparat. Le poivre et le chêne grillé nous ramènent à quelque chose de plus charpenté, avant que les tanins du fût ne fondent en pruneaux et en dattes sous l'effet du jus de canne.

La finale est très agricole, avec des fruits séchés comme l'abricot, de la canne fraîche et un reste de zeste de citron vert.

Il semble que cette cachaça ait atteint son âge idéal, celui où la canne, encore pleine de potentiel, influence et crée des réactions en chaîne au sein du fût. L'idéal serait d'avoir plus de puissance pour une expression plus poignante, mais là n'est pas la philosophie de la cachaça.

Reserva Soleira - 43%

Joao Luiz de Faria s'est rendu au Venezuela pour participer à une compétition en tant que juré. C'est en visitant Santa Teresa qu'il a découvert le principe de la solera. Il a démarré une criadera de 8 étages en 2001. Pas de compte d'âge bien entendu, mais une part des anges estimée à 6-10% chaque année.

Le nez est assez léger et entre davantage dans les codes des "rones" d'Amérique Latine. Le chêne
américain diffuse ses notes légères de vanille et de bois toasté, le pur jus de canne reste pour le moment en retrait. Le bois blanc et frais prend le relais, avec quelques touches éthérées, signes d'un alcool relativement jeune.
Avec l'aération, le rhum la cachaça prend un tournant plus caramélisé, avec en fond des fruits exotiques cuits et compotés. C'est alors que l'eau-de-vie de pur jus vieillie ressurgit franchement, à mesure que les fruits se changent en fruits séchés et confits dans une ambiance presque pâtissière. Les raisins secs gorgés de rhum prennent alors une touche grand arôme, un peu à la façon d'un rhum de Guadeloupe.

La bouche est d'abord saisie par le bois toasté et le café torréfié, puis les épices entament un virage parfumé qui nous mène naturellement vers les fruits confits et séchés. La canne revient avec un peu de fraîcheur en milieu de bouche, elle amène un côté plus sec et une petite amertume de zeste de citron vert.

La finale est gourmande, avec un mélange de vanille, de raisins et d'abricots secs.

Cette cachaça explore un autre univers que celui du Brésil. Elle a besoin d'un peu d'air pour exprimer une gourmandise qui ne m'a pas touché outre mesure. Alors que ce profil est bien maîtrisé par les rhums de Guadeloupe, j'aurais sans doute aimé que cette eau-de-vie-ci garde ce qui fait sa spécificité au départ.

Single cask - fût A27 - 39%

Une cachaça vieillie 12 ans en fût de chêne américain ex-bourbon (2007-2019), sans ouillage, 124 bouteilles.

Le premier nez est végétal et sérieux, très vert et herbacé. Après quelques petites secondes et une passe de solvant, une belle eau-de-vie de canne arrive, pleine de promesses. Elle est remplie d'eaux-de-vies de mangue, d'ananas, de banane, et rappelle vraiment le travail de La Part des Anges à La Réunion. On note également une approche moelleuse de tabac, de châtaigne, de résine dorée, ou encore de levure.
Le bois se met en avant avec l'aération, il saupoudre le jus de canne de fève de tonka, de cannelle, et d'un peu de poivre doux. La cachaça prend alors du corps et s'épaissit en un miel concentré. Les arômes organiques et fermentaires de l'eau-de-vie grondent et pulsent sous la patine du bois. La cachaça telle qu'elle était à la sortie de l'alambic est encore bien présente, avec son petit air cuivré et ses touches de noyau. Ce nez est très vivant et concentré, on y retrouve les qualités des différents embouteillages de la gamme.

L'attaque en bouche est douce, avec une tendance plutôt sèche et boisée, puis un côté grillé et minéral. La canne embrasse tout un ensemble de végétaux, des plantes aromatiques séchées aux épines de pin, en passant par le foin et l'herbe coupée. Elle est aussi habillée d'un miel doré et de quelques épices douces. Le bois ciré imprime les papilles en milieu de bouche, puis libère le jus de canne moelleux teinté de noyaux de cerises et de pruneaux.

La finale est longue, pâtissière et sur le noyau, puis doucement herbacée à la manière d'un vermouth.

Le nez de cette cachaça est superbe et encore une fois totalement inattendu dans cette catégorie. L'eau-de-vie sortie de l'alambic transparaît de bout en bout, elle change de tenue sans arrêt comme dans un numéro de transformiste. La bouche est un peu en dessous des promesses du nez, encore une fois la douceur et l'inoffensivité sont de rigueur.

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Je suis vraiment satisfait de cette dégustation complète, car j'avais peur que ce qui me plaisait dans la Bica de Alambique perde peu à peu de son intérêt au fur et à mesure des vieillissements. J'ai l'impression que les pur jus distillés en alambic, sont fragiles et ont tendance à perdre leur âme en passant du temps avec le bois (Libération mis à part bien entendu 💖). Cela s'est vérifié avec les clairins, ainsi qu'avec la plupart des cachaças et grogues vieillis que j'ai pu goûter.

Mais le travail effectué sur l'Envelhecida et le Single Cask tendent ici à montrer que ce n'est pas une fatalité, ce que je trouve vraiment réjouissant. Bien sûr, excepté pour la Bica do Alambique, toutes les cachaças dégustées aujourd'hui manquent un peu d'intensité en bouche, mais cela est plus certainement dû au faible titrage imposé qu'à une déperdition liée au temps, car la concentration et les arômes nouveaux nés des interactions à l'intérieur du fût sont bel et bien là.  

mardi 30 avril 2019

Copalli, un rhum pur jus de canne du Belize

Crédits Photos : Copalli
Un rhum agricole pur jus de canne du Belize ? Et en plus en Bio ? Il n’en fallait pas plus pour exciter ma curiosité. J’avais repéré ce rhum depuis quelques mois, avant d’avoir la chance de le goûter tranquillement grâce à Gaëlle de l’Explorateur du goût qui en assure la distribution pour la France.

Le Belize est maintenant bien connu grâce à la distillerie Travellers (et dans une bien moindre mesure par Cuello) qui distille de très bons rhums de mélasse souvent proposés par les embouteilleurs indépendants. Je n’ai en revanche jamais eu l’occasion de goûter leurs embouteillages officiels (One Barrel Rum), donc je suis preneur de vos impressions.
Mais ces fameux rhums Travellers, comme tous les autres rhums de mélasse, sont sous la menace de la fameuse pénurie de mélasse annoncée. Quelques distilleries ont donc la bonne idée de s’affranchir en partie de cette dépendance et de distiller du pur jus de canne (on a pu observer les premiers essais de Foursquare à la Barbade), ou même de cultiver leurs propres champs de canne pour une indépendance totale.
J’espère que je n’assisterai pas à la fin des rhums de mélasse, le monde du rhum serait d’un morne absolu, mais je me réjouis à la fois d’avoir la chance de déguster de plus en plus de rhums de terroir.

La distillerie


La Copal Tree Distillery est née de l’idée de deux américains : Todd Robinson, conservateur marin, et Anya Fernald, patronne de Belcampo Inc, une société d’agriculture biologique Californienne. Todd a acheté du terrain au Belize en 2005, pour y établir un éco-lodge de luxe. Anya l’a rejoint pour y implanter une ferme en agriculture biologique (la première certifiée du pays), puis la distillerie a été mise sur pied en 2016.
Le site avait déjà abrité une distillerie entre 1880 et 1950. On en retrouve d’ailleurs encore quelques vestiges. C’était un autre américain, un colonel de l’armée confédérée ayant fui la guerre civile, qui y produisait le Rocky Run Rum.


Aujourd’hui le domaine se compose donc du Copal Tree Lodge, des Copal Tree farms et de la Copal Tree Distillery. La distillerie est autonome en canne, les variétés utilisées sont celles qui restaient dans la région après la disparition de l’ancienne distillerie.
Le Copal est un arbre sacré pour les mayas. Ils en tiraient une résine encore utilisée aujourd’hui comme encens. La propriété de plus de 8000 hectares se situe dans la forêt primaire et constitue le plus gros employeur de la région. C’est un environnement extrêmement sensible, et l’expérience des deux initiateurs du projet en termes de responsabilité écologique est primordiale lorsque l’on sait qu’une distillerie peut énormément polluer. Les effluents sont par exemple mis à décanter dans des mares où les végétaux vont les filtrer, à l’issue de quoi ils sont épandus dans les champs pour y servir d’engrais. La bagasse est bien entendu entièrement réutilisée dans les chaudières.

Au-delà de l’aspect marketing de tout cette éco-responsabilité, on ne peut que se réjouir de voir de tels projets apparaître, avec une idée de rhum de terroir et bio. L’environnement de la distillerie en bénéficie, du point de vue écologique, mais surtout du point de vue de la population locale qui travaille et vit près des champs de canne.


Les rhums


Une fois le jus de canne pressé, il est mis en fermentation dans des cuves inox fermées. Ce processus dure 3 jours, à l’aide de levures cultivées localement. Il en ressort un vin titrant 9,5% d’alcool.


Plusieurs appareils de distillation sont utilisés : 2 alambics charentais et une installation multi-colonnes dont le rhum s’écoule à 94%.


Le rhum blanc est un assemblage de 25% de rhum d’alambic et 75% de rhum de colonne. Il repose 3 semaines en cuve inox avant d’être embouteillé.

Le rhum ambré est 100% distillé en alambic et repose 6 à 8 mois en fûts ex-bourbon du Tennessee, placés dans un chai ouvert.


La réduction se fait à l’aide de l’eau de pluie de la forêt primaire.
Aucun ajout n’est effectué, qu’il s’agisse de sucre, d’arôme ou de colorant.


Copalli White – 42%
Single blended rum

Le premier nez est doucement végétal, avec un air sucré qui rappelle la fine couche cassante d’une crème brûlée. Le style agricole arrive rapidement, avec des agrumes frais et une canne légèrement poivrée. Les arômes sont légers, ils donnent l’image d’un jus de canne fluide et rafraîchissant, un peu acidulé également.
La canne prend de l’assurance et de l’épaisseur avec un peu d’air. Le végétal est tendre et moelleux mais la fraîcheur reste de mise, on a donc une eau-de-vie de canne bien équilibrée. Les agrumes appellent quelques fruits frais, on reste dans la légèreté.
En bouche, l’attaque est douce et végétale, toujours avec cette canne tendre qui développe maintenant un léger grain. Pas d’attaque fraîche comme pour un agricole antillais, les 40% ont assagi le profil qui offre immédiatement tout ce qu’il a à donner. En contrepartie, le milieu de bouche voit le rhum commencer à décliner assez rapidement.
La finale est savoureusement poivrée, ce qui se marie bien avec la canne moelleuse. Le rhum s’efface cependant assez vite sur des notes légères et éthérées.


Un joli pur jus de canne, frais et léger. Il permet de découvrir l’agricole en douceur, ou d’apporter une nuance de canne fraîche en cocktail. Cela reste un peu juste en dégustation pure, mais je ne crois pas que ce soit le but recherché. Je l’essaierais bien allongé d’un trait d’eau de coco.

Copalli Barrel Rested – 44%
Pure single rum

 
Dans les premiers instants, le nez est sensiblement pareil à celui du blanc, si ce n’est que le repos est palpable (évidemment me direz vous, mais on attendait aussi une différence plus importante du fait du 100% alambic). Une teinte chocolatée vient tempérer la fraîcheur, mais celle-ci revient par le biais d’un végétal résineux, d’un bois vert, aux limites du médicinal. Le citron vert est bien en évidence, on croirait presque sentir un ti’punch.
L’aération ne m’enlève pas l’idée du ti’punch de la tête. La canne revient sur le devant de la scène, avec un côté un peu plus sec et poivré, avant que sa chair ne s’adoucisse et ne devienne plus tendre et sucrée.
En bouche, on trouve un rhum savoureux mais un peu timide pour ceux qui aiment avoir un peu de puissance. La canne est très joliment habillée, avec un végétal bien vert qui va jusqu’au menthol, un peu de tabac blond, du poivre et des fruits jaunes délicats.
La finale arrive très vite malheureusement, mais la longueur est agréable, sur une canne très légèrement épicée et boisée.


  
Voici un rhum délicat, avec des arômes qui le sont tout autant. Je dirais à ceux qui aiment que ça bastonne de passer leur chemin, mais pour les autres c’est une petite eau-de-vie de canne tout à fait honnête. Je choisirais cette version plutôt que le blanc, car elle apporte plus de complexité et de longueur.

Je ne vous cacherai pas que j’attendais un peu plus de ces rhums, mais je pense que je n’en suis pas tout à fait la cible. Alors que j’aurais aimé déguster un rhum blanc 100% alambic avec un peu de puissance, Copalli nous propose des rhums très doux destinés plus probablement à la découverte ou aux cocktails qu’à la dégustation pure.
Mais la démarche est à saluer, et lorsque la toute jeune marque s’intéressera aux dégustateurs qui ont envie d’une image de terroir un peu plus vibrante, je serai à 100% au rendez-vous.

samedi 30 mars 2019

Une petite séance de rattrapage

Crédits photos Rhum Attitude
Le rythme des sorties accélère et s'affole, si bien que l'on a plus le temps de tout goûter. Ce sont donc les expressions les plus spectaculaires qui remportent notre attention, parfois grâce à leur qualité exceptionnelle, et parfois grâce à une surenchère de gimmicks et de termes en vogue.

On a ainsi moins l'occasion de se pencher sur les "bons petits rhums", ceux qui n'ont pas fait beaucoup de bruit, car sortis face à des monstres single cask high ester overproof limited edition. Même les grandes marques et les embouteilleurs les plus en vue sont concernés, vous verrez qu'il n'y a pas que des outsiders dans la sélection qui va suivre.
C'est pourquoi j'ai voulu partager quelques découvertes, avec des bonnes surprises, des sorties qui n'ont pas reçu l'accueil qu'elles méritaient ou qui selon moi ont été injustement disqualifiées.


Mezan - Belize 2008 - 46% 

Une fois que l'on a acquis une petite expérience du rhum, on délaisse généralement assez vite les embouteillages de Mezan, souvent avec une certaine condescendance. Il est vrai que leurs sélections d'origines diverses se prêtent bien à la découverte, mais force est de reconnaître que l'on souhaite par la suite connaitre des expériences un peu plus intenses. Mais l'embouteilleur a décidé de suivre l'évolution des amateurs en rehaussant le degré de certaines de ses sorties, et même en proposant depuis peu un brut de fût de chez Long Pond.
J'imagine également que Mezan, fort de son expérience et de son succès, peut aussi avoir accès à des fûts plus intéressants, comme ceux dont est issue cette cuvée 2008.  Distillé sur un système de triple colonne chez Travellers, ce rhum a passé 5 ans sous les tropiques en ex-fût de bourbon, puis 4 années supplémentaires en Europe en fûts de rhums divers ayant été ex-bourbon dans une vie antérieure.

Le nez s'ouvre d'abord sur un voile de solvant et un boisé un peu empêché. La concentration est perceptible, le chêne dégage une force encore rentrée, mais qui commence à se détendre avec des fruits à coque huileux. Toujours dans cet esprit sombre et profond, on trouve ensuite une sauce soja gourmande puis des épices torréfiées et bien parfumées.

La bouche est ample, généreuse, le rhum s'ouvre sur des fruits mêlés à un chêne américain aux notes de caramel, de vanille, de coco et de tabac. Le caractère toujours aussi ténébreux apporte une certaine classe. Le rhum ne tire par sur le charbon et la sécheresse comme on aurait pu le craindre, et c'est cela qui fait son charme. Il offre enfin une confiture bien collante de prune noire, avec des notes de banane séchée, de vanille et d'amande douce qui persistent.

J'ai été séduit par la profondeur de ce rhum, avec une énergie rentrée mais une sensation de bouillonnement, de concentration assez remarquable.


Compagnie des Indes - Venezuela - CADC 12 ans - 58% 

N'ayant vu que très peu de retours sur ces embouteillages de rhum du Venezuela (il y aussi eu une version réduite), j'imagine que c'est surtout le pays d'origine qui a effrayé les amateurs. Pourtant, avec un peu de persévérance c'est vrai, on arrive a trouver de bien jolies choses dans ce monde un peu englué des rhums de "tradition hispanique".
La CADC (Corporacion Alcoholes Del Caribe) était d'abord un courtier qui vendait du rhum en vrac. Elle s'est mise à faire vieillir des rhums avec différents profils de fûts, exportant la majorité de sa production, puis est finalement passée à la distillation. Elle vend aujourd'hui ses rhums à diverses marques, au Venezuela mais pas seulement. C'est un producteur qui varie les plaisirs, avec des distillations de miel (sirop) de canne, de mélasse, mais aussi de pur jus. 
Alors vous allez vous dire, c'est bien joli tout ça, mais si c'est pour faire de l'alcool neutre sorti d'une raffinerie c'est pas la peine. Eh bien goûtez donc cette petite sélection, et vous aurez comme moi envie d'en savoir plus sur ce qui se trame dans les murs la distillerie.

Au nez, des premières notes animales nous sautent aux narines. Du cuir, de la viande fumée au romarin, des anchois. On trouve aussi un côté médicinal, camphré, doublé par un pruneau bien pâtissier et par de belles olives en saumure. L'ambiance est huileuse et parfumée, avec des aromates et un bois toasté recouvert de mélasse.

En bouche, l'attaque est chaude et ample, ronde mais très savoureuse. Comme un miel de châtaigner, le rhum est corsé mais épais. Le chêne est trempé de saumure d'olive, il est salé et délivre des notes végétales résineuses. Les notes classiques du chêne américain arrivent en fin de bouche (vanille, caramel, tabac, coco, bois blanc, écorce d'orange), mais imaginez comme elles peuvent être boostées par la concentration aromatique qui les entoure.

Une énorme surprise pour moi, j'étais bien loin de penser que de tels rhums pouvaient exister dans cette partie du monde. Certainement un rhum concentré prévu pour les assemblages, une sorte de high ester Vénézuélien.


Rum & Cane - French Overseas XO - 43%

Il s'agit d'un assemblage de rhum agricole de La Réunion (Rivière du mât) et d'un rhum de mélasse de Martinique (Le Galion). Les deux rhums ont vieilli au moins 6 ans en fût de chêne français et américain avant d'être assemblés.

J'ai été assez surpris et perplexe à la dégustation, car celle-ci indique un style assez typique des rhums de mélasse réunionnais. Cela ne gâche pas le résultat final, mais la nature agricole de ce rhum de Rivière du mât interroge.

Le nez puissant et médicinal suscite tout de suite l'intérêt avec ses notes camphrées. On trouve aussi un voile de solvant qui couve des fruits exotiques fermentés. On alterne ensuite entre caoutchouc frais et notes acidulées, avant de plonger dans une gourmandise pâtissière et rondement fruitée. En général j'aime beaucoup ces associations de notes médicinales (camphrées, végétales et résineuses) et pâtissières, d'autant plus qu'ici elles sont relevées d'une pointe d'olive.

En bouche, c'est toujours aussi gourmand, en plein dans le grand arôme. On a de la pâte d'amande et de la mélasse qui fait le lien entre le médicinal et le pâtissier par le biais de la réglisse. C'est une bouche assez simple mais vraiment agréable, avec des fruits confits et des raisins macérés en finale.

C'est un rhum très gourmand et plaisant, avec des airs de guadeloupéen de type Montebello ou Séverin.


Arcane - Délicatissime - 41%

Alors qu'Arcane s'est malheureusement distinguée avec son rhum arrangé banane Haribo (Extraro ma), la maison  originaire de Cognac propose aussi des choses plus intéressantes et naturelles. Ce rhum mauricien de pur jus de canne en est la preuve. On sait qu'Arcane travaille avec les distilleries Gray's et Labourdonnais, et c'est sans doute cette dernière qui est à l'origine de ce rhum car elle est davantage connue pour travailler le pur jus de canne.

Il s'agit d'un rhum élevé sous bois durant 18 mois en fûts de chêne français.

Le nez est délicat et équilibré, avec un jus de canne doux et complètement dépouillé de sa bagasse, teinté d'agrumes et de poivre. La tendreté de la canne ne l'empêche pas de délivrer des arômes gourmands, miellés et floraux. Les traces du vieillissement sont discrètes, elles soulignent simplement le rhum avec un peu de bois vanillé et un petit bouquet d'épices.

La bouche est plus épicée à l'attaque, un peu boisée, puis le rhum se fond en une canne ronde et délicate, avec une sensation de naturel. La finale est plutôt agréable, équilibrée entre le végétal de la canne et le boisé moelleux.

Tout en délicatesse, ce rhum bien nommé offre une approche différente de l'agricole (enfin, du pur jus de canne, puisque les rhums de l'île Maurice n'ont pas droit à cette dénomination). On penche du côté de la cachaça, qui a parfois en commun ce type de vieillissement léger.


HSE - Elevé sous bois - 42%

Pas besoin de présenter HSE, l'une des maisons martiniquaises les plus actives de ces dernières années. Ses finitions, ses petits fûts, ses blancs millésimés... tant d'éditions spéciales qui font parfois oublier la gamme "de base", et notamment ce petit élevé sous bois tout à fait sympathique.

Parfois l'exercice de l'ambré peut être périlleux, car il risque de gommer les qualités du jeune rhum, sans apporter suffisamment en retour. Mais après avoir passé 18 mois en foudres de chêne français, ce rhum développe des notes rassurantes de canne fraîche. Il s'ouvre surtout sur des arômes tout aussi frais de pomme et de poire, façon calvados domfrontais. Les épices douces nous ramènent à quelque chose de plus exotique, puis la canne est de nouveau mise en avant avec de la réglisse et des fruits exotiques. Le boisé est poussé par un souffle mentholé.

L'attaque en bouche est plutôt sèche et boisée, la bagasse amène un côté rustique et typiquement martiniquais. On n'oublie donc jamais le rhum blanc d'origine, avec son poivre et son zeste de citron vert qui se confit dans la longueur.

Le chêne français amène de délicieuses notes de pomme et de poire, tout en conservant la fraîcheur et la typicité du rhum agricole. Plus qu'un intermédiaire entre le blanc et le vieux, c'est un rhum accompli et pas seulement un vieux en devenir.


Samai - Gold - 40%

L'industrie du sucre Cambodgien connait une véritable renaissance depuis le début des années 2000.mélasse fermenté durant 5 jours.
Naturellement, l'idée de distiller la mélasse résultant de cette activité est apparue, mais elle n'est pas venue d'où on l'attendait. Ce sont deux Venezueliens qui ont décidé de poser leur petit alambic à Phnom Penh en 2014 et d'y passer un moût de

On ne sait vraiment pas à quoi s'attendre lorsque l'on parle d'un rhum cambodgien distillé par des latino-américains, on a même un peu peur pour tout dire. Mais on est tout de même surpris de découvrir un style plutôt anglais, riche et corsé, sans doute la dernière chose à laquelle on aurait pensé.

Le nez étonne dès le premier instant, et on le prend rapidement au sérieux. C'est qu'il y a du funk là-dedans ! Les fruits exotiques trop mûrs cohabitent avec une banane séchée qui tire sur le tabac, puis on aborde une salade de fruits au sirop plus fraîche. Il règne une sorte de douceur moelleuse, avec une amande bien grasse, des aromates doux. Le rhum est élégant, riche de noyau, d'épices, de miel, de résine. On se rapproche de l'alambic avec une touche cuivrée qui pourrait évoquer le whisky, d'autant que l'on est plus tard transporté dans une lande de bruyère. Le boisé est gourmand, il est teinté de cacao et de fruits à coque.
 
La bouche est tout aussi gourmande, avec un boisé fondu, des épices et des fruits exotiques bien gorgés de sucs. On profite d'une belle présence, avec une rondeur équilibrée par les épices et la résine. La parenté avec un style anglais presque jamaïcain va même jusqu'à invoquer une jolie olive verte confite. Les fruits exotiques très mûrs ont éclaté et coulent maintenant le long du cuivre de l'alambic. L'élégance est cependant conservée jusqu'en finale, avec un miel parfumé de noyau et de résine.

Un très joli rhum qui rappelle la gourmandise des expressions de Worthy Park en Jamaïque. Les 40% sont sans doute un peu juste, on imaginerait aisément un petit navy proof, mais c'est un rhum qui reste très agréable à siroter.


Plantation - Xaymaca special dry - 43% 

On ne peut pas dire que Plantation soit un outsider, mais j'ai l'impression que ce jamaïcain en particulier n'a pas obtenu l'attention qu'il mérite. Alors que les embouteillages classiques de la maison subissent un dosage (comprendre adjonction de sucre) plus ou moins appuyé qui a tendance à dénaturer le produit, seule la série des Extrêmes s'adresse aux amateurs de rhums purs. Il y a donc un fossé entre les rhums classiques, réduits et dosés, et les rhums bruts de fût, sans réduction ni dosage. C'est ce fossé que cet assemblage jamaïcain propose de combler, en montrant l'intérêt du savoir-faire de l'assembleur dans la maîtrise de la réduction et du blend.

Ce rhum a aussi la particularité d'être arrivé en pleine course aux esters, au milieu de rhums au solvant tout puissant et aux arômes sauvages. Il a ainsi subi des critiques injustes de mon point de vue à sa sortie, le qualifiant de faux jamaïcain, sans âme et sans puissance. Or il se trouve que si par le passé on a identifié le rhum de Jamaïque à ses arômes brutaux, on s'est finalement rendu compte que les distilleries proposaient également des marks (réglages) plus subtils et raffinés. Habitation Velier nous l'a d'ailleurs montré par la suite, avec des Hampden et Worthy Park plus légers que les premiers monstres de la gamme.

Il s'agit donc d'un assemblage de rhums relativement légers de Clarendon et de Long Pond (EMB et VRW. Coucou Vale Royal) additionnés d'une pointe de rhums lourds des mêmes distilleries (MLC et STC^E). Ces rhums ont passé moins d'un an sous les tropiques en fût de chêne américain, puis deux à trois ans en Europe en ex-fût de cognac. On pourrait redouter ce côté "finish", mais justement je ne trouve pas que le fût de chêne français ait laissé son empreinte.

Au nez, le funk jamaïcain recherché est bien là, sous une forme très fruitée et colorée, avec une multitude de fruits du verger, de fruits exotiques juste mûrs, et une légère pointe d'olive. On se pose un instant avec un petit boisé vanillé, puis l'éclaircie revient avec des fleurs capiteuses et tout aussi colorées que les fruits. L'aération installe un peu plus le bois et les épices, mais le rhum reste gonflé de soleil et d'exotisme. Le temps aura tendance à apporter plus d'épaisseur, avec des fruits séchés et un bois patiné.

En bouche, l'attaque est douce et clémente. On ne ressent aucune morsure alors que la salade de fruits s'étale délicatement sur le palais. Le rhum enrobe ensuite les papilles d'une gourmandise très pâtissière et crémeuse, avec de la pâte d'amande et de la cerise. La finale est élégante, avec du noyau, du miel et des fruits exotiques séchés.

Ce rhum insiste sur un fruité léger et délicat, avec un panier varié et coloré. Il propose aussi un profil très pâtissier en bouche. Forte de sa tradition passée de rhum "de commande", la Jamaïque sait tout faire et nous régale vraiment des deux côtés du spectre de ses concentrations aromatiques.


Bacardi - Reserva Limitada - 40%

Je vous vois, vous vous dites "ça y est il a complètement lâché la rampe le pauvre vieux, voila maintenant qu'il nous vante du Bacardi". Alors oui, Bacardi ce sont des rhums ultra-lights pour des cocktails pas chers, ou alors le fameux Ocho que l'on trouve en grande surface, qui n'est pas honteux mais pas foufou non plus. C'est justement pour cela que j'ai été surpris à la dégustation de ce Reserva Limitada, qui m'a redonné foi en la "tradition latine".

Dans la tradition cubaine, dont Bacardi est l'héritière, on assemble des "bases" vieillies de concentrations différentes avec des alcools neutres, afin d'obtenir des rhums légers et surtout économiques pour le producteur. Les bases les plus aromatiques, les aguardientes, sont toujours utilisées avec parcimonie. Elles sont juste là pour donner un goût de rhum aux alcools neutres. Elles ont pour ainsi dire la même utilité que les high esters jamaïcains (sans avoir les mêmes propriétés bien entendu) dans certains assemblages. Dans ce blend de rhums ayant passé minimum 10 ans en fûts de bourbon, il semble que la part d'aguardiente est plus importante que d'habitude.

Le nez est tout de suite marqué par le miel, la cire d'abeille, pour un profil chaud souligné par un boisé grillé et caramélisé. Ce nez ronronnant reste vivant malgré tout, les dattes et les raisins sont rafraîchis par la chair de noix de coco. Le rhum continue de s'ouvrir en dévoilant des fruits bien mûrs et concentrés, posés sur un chêne américain gourmand (vanille, tabac, épices douces). Ces fruits mûrs façon mirabelle se parent ensuite d'un voile d'oxydation aux accents de noix.

La simplicité est de mise en bouche, mais l'équilibre se maintient. Les fruits à coque sont enrobés d'un caramel un peu salé, le cacao et le tabac amènent une gourmandise torréfiée. Le chêne américain marque la finale, avec des arômes consistants de vanille, de tabac, de coco et de bois blanc.

Un rhum plus qu'honnête, avec de la délicatesse mais pas de rondeur excessive. Il représente une catégorie de rhums légers et élégants, avec une recherche d'équilibre et d'harmonie.


Clairin Communal - 43%

Ce communal n'a pas fait grand bruit lors de ses premières présentations. On n'attendait pas grand chose de cet assemblage de clairins, notamment en raison de la relative déception qu'avaient pu procurer les éditions "World Championship". Nous avions aimé Sajous, Vaval, Casimir et Le Rocher pour leur spontanéité, leur naturel, leur côté sauvage et rustique, mais nous avions un peu abandonné l'idée d'un assemblage orgiaque, croyant finalement que ça ne marchait pas tant que ça. Mais cette fois l'assembleur a décidé de sortir du consensuel et de rendre hommage à l'âme des eaux-de-vie de canne haïtiennes.

Le nez indique que les côtés les plus sauvages des clairins ont été mis en avant : notes terreuses, olive, truffe, fruits exotiques trop mûrs et vesou fermenté ravissent notre âme d'aventurier. Les 43% envoient une bouffée massive d'arômes, avec une canne ronde mais vibrante en plein centre et quelques épices végétales qui volettent autour.

La bouche offre la même bouffée généreuse, malgré une rondeur admirable. Le vesou est épais et trouble, avec des percées d'eaux-de-vie de fruits exotiques et de saumure d'olive. La rusticité et l'authenticité sont à leur comble quand arrivent les notes encore plus lourdes de truffe, de cuivre et de viande fumée. Le cuivre laisse une trace bien marquée en bouche, la canne doucement végétale s'y accroche, encore perlée de saumure d'olive.

Un plaisir de voir ces clairins marcher ensemble et se répondre, et enfin la possibilité de conseiller à quelqu'un une découverte du clairin sans avoir à faire un choix.


Aldea - Cana Pura - récolte Mai 2012 - 42%

On ne peut pas dire que l'arrivée d'Aldea en France il y a quelques années ait déclenchée l'hystérie.
La faute à une destination pas si exotique que ça, des rhums vieux un peu mous, un manque de clarté quant-aux matières premières (certains rhums sont à base de pur jus, d'autres à base de mélasse, alors que d'autres sont des blends). Pourtant, tout comme Madère, les Canaries sont un lieu important dans l'histoire du sucre et du rhum, et rien que pour cela elles méritent que l'on s'y attarde.

Ce rhum de pur jus de canne bénéficie d'un traitement spécial et à part au sein de la distillerie, que ce soit du point de vue de la fermentation ou de celui de la distillation qui se fait en petites colonnes traditionnelles.

Le nez s'ouvre sur un agricole subtil et aromatique à la fois. La canne est nette mais tendre, sa souplesse est rafraîchie d'agrumes, de citronnelle et de fenouil. Le temps invite quelques épices (poivre, anis), mais la canne reste intacte et d'un naturel très séduisant. On trouve un côté herbacé à la fois frais et moelleux, puis des notes plus lourdes qui tutoient l'olive.

La bouche est épicée et légèrement iodée, la canne arrive ainsi à étreindre la langue malgré son côté délicat. C'est une bouche plus franche que ce que l'on pouvait attendre, bien tendue. Les notes herbacées d'aromates arrivent dans le même ordre qu'au nez, tout comme la pointe d'olive.
Tout ce petit monde reste au service de la canne, jusqu'à une finale riche de fruits mûrs et d'agrumes.

Un joli rhum de pur jus bien équilibré, avec un caractère contrasté qui offre du relief et un côté vivant à la dégustation.

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Ces rhums ont en commun d'être de très bons rapports qualité / prix, à part sans doute le Bacardi dont le rapport prix / préjugés (fondés, entendons-nous bien) lui est certainement défavorable. J'espère lire vos avis, si comme moi vous avez été curieux ! ;)