La Compagnie des Indes organisait en juin dernier un
concours photo sur le thème de la fête des pères. A la clef, une journée
« Master Blender » aux côtés du patron, Florent Beuchet. J’ai eu la
chance d’accompagner le gagnant Mathieu, maître assembleur d’un jour, qui on le
verra plus tard a de l’avenir dans le métier !
En route !
Petit réveil à 05h, train-metro-train et rendez-vous à la
gare de Dijon au petit matin avec Florent et Florian son collaborateur. En
route pour le Jura et la brasserie / distillerie Rouget de Lisle où se trouvent
les locaux de La Compagnie. On profite de la route pour faire les présentations
et parler du making-of de la photo gagnante de Mathieu et son père. Très vite
évidemment ça commence à parler rhum, chacun évoque ses dernières
découvertes, les nouveautés, les belles caves à découvrir et les sujets chauds
du moment. Le trajet passe forcément très vite et nous voici arrivés à la brasserie
qui est déjà à l’ouvrage : il fait chaud et ça sent le malt, on est
bien !
Nous commençons par un petit tour du propriétaire et l’on
entrevoit déjà quelques beautés comme ce fût marqué MPM fraichement réceptionné.
Il ne se rend pas bien compte Florent, nous montrer l’air de rien un fût de
Port Mourant comme ça, en toute décontraction, à 10h du matin !
Heureusement que l’on n’a pas le cœur trop fragile !
Plus loin, une cuve de mélasse qui servira prochainement à
une première expérience de distillation. On en déguste quelques gouttes, c’est
très épais, très noir et cela a un fort goût de réglisse. La brasserie est donc
également dotée d’un bel alambic qui produit un superbe whisky vieilli en fûts
de vin du Jura. Cet alambic servira ainsi prochainement à
la première distillation de mélasse de la Compagnie. Cette mélasse devra être
coupée avec 5 volumes d’eau avant d’être mise en fermentation avec des levures
spécialement conçues, les levures utilisées pour les bières de la brasserie ne
feront pas l’affaire.
Pour la suite, pas d’indice pour l’édition n°4, en revanche
on sait que l’édition n°5 est un rhum Jamaïcain qui est d’ores et déjà en train
de vieillir en fûts de Bunnahabhain (Whisky de l’île d’Islay). Vu
l’enthousiasme des deux compères, cette édition sera à surveiller de très près.
En ce qui concerne l’édition n°6, l’expérimentation sera poussée encore plus
loin car des fûts (vides pour l’instant) sont actuellement préparés en fumoirs
utilisés pour la charcuterie.
Atelier « Master
blender »
Mais le temps passe et il est temps de se mettre au travail.
Une table a été aménagée avec tout le nécessaire : verres, pipettes, éprouvettes,
petits récipients, eau osmosée pour la réduction...et sept bouteilles de rhum,
avec un beau dégradé de couleurs qui va jusqu'au transparent, cristallin. Elles
sont simplement numérotées, pas d'origine indiquée, simplement l'âge pour
certains et le titrage alcoolique. Et ces titrages impressionnent ! On démarre
par un gentil 46% pour finir avec un petit blanc à 83%.
Ces bouteilles sont donc celles qui sont
proposées à Mathieu pour effectuer son assemblage. Pour commencer il va falloir
tous les goûter et prendre des notes, et comme ça me faisait mal au cœur de
laisser Mathieu seul dans cette épreuve je lui ai proposé mon aide, normal.
Les rhums
à assembler
Alors on attaque avec la bouteille numéro 1 : c'est funky,
végétal, puissant, corsé. On sent que c'est un rhum plutôt lourd, on sent un
peu d'épices et un côté un peu salé. A l'aération il devient de plus en plus
confit. Déjà au nez on sent que l'on a un candidat sérieux.
Nous nous sommes aussi lancés un petit challenge
qui était de reconnaitre le contenu des bouteilles, ou au moins l'origine, avec
un bonus si l'on trouvait la distillerie. Et bien là nous avons même poussé l'audace
en proposant même un alambic précis : c'est un Port Mourant de Demerara
Distillers Limited au Guyana ! On verra bien...
En bouche c'est aussi confit, façon cake aux
raisins, et c'est long en finale. Intéressant !
Bouteille numéro 2, changement de décor. On a de
la coco grillée, des fruits à coque grillés eux aussi, le tout est assez
équilibré et moyennement puissant.
On ne sait pas vraiment d'où vient ce rhum mais
nous ne sommes pas tellement emballés. La coco grillée du départ faisait penser
à la Barbade mais en bouche, le cacao, la mélasse, le café et le caramel nous
amèneraient plutôt en Amérique du Sud.
La finale est plutôt beurrée, assez grasse.
Nous gardons à l'esprit que même si un rhum ne
nous plait pas forcément seul, il peut être utile à l'équilibre d'un
assemblage.
Bouteille numéro 5 : (nous avons rangé les échantillons
par degré d'alcool, la bouteille numéro 3 nous faisait trop peur et a été
placée en dernière position par prudence.)
Au nez c'est assez léger, floral, sur les fruits
blancs. Une petite note de bubblegum va et vient, c'est de plus en plus fruité
et acidulé. Le rhum prend de l'épaisseur avec le temps, il devient épicé et les
fruits sont de plus en plus mûrs.
Alors que nous ne savions pas du tout où nous
étions au premier abord, nous penchons maintenant pour la Jamaïque, ce qui va
se révéler assez évident à la mise en bouche, lorsqu'une grosse cuillerée de
fruits exotiques va envahir notre palais. On ose même dire que cette bouche
fait très Hampden (distillerie de Jamaïque qui produit des rhums très chargés
en arômes).
Au tour de la bouteille numéro 6 : c'est plutôt
léger au départ, on a un peu de boisé, que l'on avait pas senti jusqu'ici sur
les autres bouteilles. Nous nous disons alors qu'il serait intéressant de
garder cette particularité en tête si Mathieu souhaite ajouter un peu de boisé
à l'assemblage.
Par contre lorsque l'on essaie d'identifier la
provenance, il y a un côté résineux, réglisse, un peu médicinal qui nous trouble.
Les premiers embouteillages jamaïcains de La Compagnie des Indes (distillerie
Worthy Park) avaient un côté médicinal prononcé. A la fois, le reste du profil
ne rappelle pas la Jamaïque. En bouche, l'attaque ronde, suivie de boisé et de
réglisse ne nous en dit pas plus.
On revient à la bouteille numéro 4 : mince, nous
sommes encore perdus. Un nez discret et léger, même après un peu d'aération.
Beaucoup de caramel brûlé ensuite. Pas mal d'amertume en bouche, du café, c'est
astringent, asséchant en finale. Le caramel brûlé persiste. Nous sommes sûrs de
notre coup : c'est un rhum d'Amérique latine ! On verra bien...
Retour à un rhum bien corsé avec la bouteille
numéro 7 : de la banane en premier, c'est un rhum lourd, on a de la pâte
d'amande, de l'olive, de l'ananas, de la prune. Encore la Jamaïque ??
Bizarre...
En bouche on change vite d'avis : on est au
Guyana c'est sûr. Nous penchons sur les colonnes de Diamond. Une impression
d'eau-de-vie de prune, de la poire, une finale très intense et fruitée, super.
Celle-ci on la garde !
Et enfin un monstre de rhum blanc, 83%, que l'on
imagine brut de colonne ou d'alambic, l'échantillon numéro 3... *musique
inquiétante*
Le monstre sait se montrer sous son meilleur
jour : un joli nez de canne fraîche nous accueille, mais disparaît assez vite
pour laisser place à un côté métallique et fumé. Il faut garder le nez assez
loin du verre, sous peine d'être admis au service des grands brûlés qui n'ont
sans doute pas beaucoup vu de victimes uniquement atteintes aux narines.
En bouche on a de la mûre et un côté agave,
ainsi que du menthol en finale. Ça fourmille dans toute la bouche, j'y ai
personnellement laissé ma lèvre inférieure.
Pas vraiment d'idée sur la provenance, on
propose l'arrack puisque nous savons qu'il fait partie de l'assemblage Tricorne
réalisé il y a quelque temps par la Compagnie.
Après ce tour d'horizon qui nous aura déjà pris
une bonne heure et demie, c'est le tea time. Il est temps d'essayer le nouveau
Boulet de Canon. Cette version est très marquée en thé, plus qu'en fumé
d'ailleurs. On a l'impression d'un thé alcoolisé, difficile de trouver le rhum.
Justement Florian et Florent arrivent avec une
deuxième dilution, moins infusée. L'équilibre est bien meilleur, le rhum passe
en premier, puis le thé, et enfin une persistance fumée en bouche.
L’étape
de la création
S'en suit alors une première tentative d'assemblage. Par où
commencer ? Mathieu relit ses notes et essaie de classer les rhums par ordre de
préférence. Ensuite il étudie la complémentarité de ceux-ci. Il choisir d'abord
trois rhums : les numéros 5, 7 et 3, soit le Jamaïcain un peu bonbon pour le
côté fun, le Guyanais pour la colonne vertébrale du blend et le rhum blanc pour
son côté frais.
De mon côté j'essaie de bricoler quelques essais
avec 5 rhums différents, mais ça devient vite brouillon, il y a trop de
combinaisons possibles.
Mathieu opte pour le 1/3 de chaque, puis il
essaie plusieurs autres proportions. C'est assez difficile de conserver ce qui
plaisait dans chaque rhum séparément.
Florent nous rejoint et goûte deux propositions,
et c'est un succès ! Mathieu reste finalement sur l'idée de départ, soit 1/3 de
chaque et cela fonctionne très bien. Re-dégustation pour être sûr et c'est
parti.
Entre temps le temps des révélations est venu,
et en toute modestie je pense qu'on a été très bons !
Résultats
de la dégustation à l’aveugle
Bouteille 1 : Port Mourant ! Yes !
Bouteille 2 : c'est bien l'Amérique du sud
puisque l'on est au Panama.
Bouteille 3 : nous avions parié sur l'arrack, il y en avait aussi puisqu'il s'agissait du Tricorne "brut de colonne"
Bouteille 3 : nous avions parié sur l'arrack, il y en avait aussi puisqu'il s'agissait du Tricorne "brut de colonne"
Bouteille 4 : un gros loupé, nous pensions que
c'était un rhum d'Amérique latine mais il s'agissait en fait d'un blend
Caraïbes, référence phare de La Compagnie des Indes, composé de rhums du
Guyana, de la Barbade et de Trinidad.
Bouteille 5 : il s'agit bien de la Jamaïque, en
l'occurrence du blend de la Compagnie avec une dominante Hampden.
Bouteille 6 : un autre blend : le Latino, avant
tout à base de rhum du Guatemala.
Bouteille 7 : un autre bon point puisque l'on
était bien au Guyana, avec un mélange de Diamond et d'Uitvlugt.
Ce n'était pas un sans faute mais à notre
décharge il n'était pas évident d'identifier les blends Caraïbes et Latino dont
les profils étaient extrêmement différents sans dilution ni sucre. Mais nous
nous en sommes sortis avec les félicitations de Florent et Florian, donc assez
fiers.
Un petit test a été effectué avec quelques
gouttes de sucre de canne liquide mais cela ne s'est pas avéré nécessaire.
Place maintenant à la réduction (pour abaisser le taux d'alcool qui est pour
l'instant autour des 70%). Mathieu opte pour un degré d'alcool assez élevé, aux
environs des 60%, ce qui correspond à ses préférences en général.
Avant réduction, on retrouvait au nez le côté acidulé du blend Jamaïcain et
beaucoup de fruits mûrs. En bouche était fortement influencée par le fruité du
Diamond, et on avait de la banane, un côté beurré et finalement épicé et
toasté.
Réduisons un peu tout de même…
Grâce à une table de conversion, Florent fixe
les quantités d'eau et de rhum souhaitées pour obtenir 140cl d'un assemblage à
60%. Il faut également savoir que l'on n’obtiendra pas 20 cl si l’on mélange 10
cl d’eau et 10 cl de rhum. Les molécules se "marient" et on obtiendra
une quantité un peu moindre.
Pour la réduction, on utilise une eau assez
froide car lorsque l'on la mélange avec de l'alcool une réaction de chaleur se
produit, ce qui pourrait casser les arômes. Cette réduction doit également se
faire tout doucement, avec un filet d'eau, toujours dans le but de préserver le
rhum. Il s'agit ici d'une toute petite quantité donc on le fait en une seule
fois et on agite doucement le mélange.
En réalité la réduction sur un fût ou une cuve
se fait plus lentement, en plusieurs fois, avec un système de brassage doux,
voire à la main. En effet Florent utilise parfois une palette servant au
brassage de la bière pour brasser les plus petits fûts.
On contrôle ensuite le taux d'alcool grâce à un
appareil devenu célèbre chez les amateurs, et le résultat est de 59,8%. Parfait,
nous sommes même dans la légalité puisque l'écart permis entre le taux d'alcool
sur l'étiquette et le taux réel est de 0,3%.
Après réduction on a plus de canne au nez, moins
de bubblegum et plus de vanille. En bouche le
fruité domine toujours ainsi que la banane. C’est toujours boisé et fumé en
finale.
Pas de changement fondamental après réduction, c’est surtout le nez qui a
été remanié. On retrouve les mêmes notes mais ce ne sont plus les mêmes qui
dominent.
La touche
finale
Et voilà ! Il n'y a plus qu'à mettre en bouteille. Florent concocte une petite étiquette, voilà deux magnifiques bouteilles de la Cuvée Esper ! Direction l’atelier cirage maintenant, vous verrez sur les photos que nous avons encore quelques progrès à faire. Mais finalement Mathieu, qui n’a pas craché lors des dégustations (oui je balance, ce mec est un surhomme, personnellement même en crachant j’étais K.O. !), s’en sort quand même avec les honneurs.
Quelques indiscrétions venues des chais…
Florian nous propose de goûter à plusieurs essais de finishs
d’un assemblage de rhums distillés en 2007 chez DDL au Guyana : Porto,
Sherry, Madeire et Moscatel. Pas de chichi, le rhum est tiré de façon
« traditionnelle », c'est-à-dire siphonné avec un gros tuyau !
Dernière mission de la journée : réaliser l’assemblage
et la réduction d’une nouveauté à sortir en fin d’année : L’Oktoberum. Il
s’agit d’un assemblage de rhums Jamaïcains d’au moins 5 ans qui a été vieilli
en fûts de bière. Il y avait au départ 3 fûts : 2 ayant contenu du Macvin
(vin de liqueur du Jura) et un ayant contenu du vin jaune. Ces trois fûts ont
ensuite contenu du whisky pendant 7 ans et enfin de la bière pendant 3 ans. On
avait laissé la lie de la bière (une grosse couche) au fond d’un des fûts.
Nous
avons pu déguster ce fût et la lie apporte un côté levure, brioche, voire tabac
blond que j’ai beaucoup apprécié. La cuve dans laquelle avaient déjà été
mélangés les deux premiers futs présentait le même profil mais moins marqué.
Nous avons donc transféré le troisième fût dans la cuve et apporté une partie
d’eau osmosée pour la réduction. Je suis désormais bien curieux de goûter à la
version définitive !
Et voilà, une photo souvenir, un petit coup de balai, une bonne bière pression de la brasserie et nous reprenons la route pour Dijon après cette belle journée. Mathieu mérite définitivement son titre de Master Blender, son assemblage est vraiment excellent. Un grand merci à Florent et Florian pour leur accueil et pour le partage. Bravo pour cette chouette initiative qui a fait le bonheur de Mathieu et dont le compte-rendu, je l’espère, vous aura plu. On retrouvera bientôt La Compagnie des Indes avec de jolis single cask qui arriveront en fin d’année.
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