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(c) ProyectoSierraMazateca.org | |
C'était un coup de cœur du dernier Whisky Live que j'avais hâte de re-déguster tranquillement à la maison. C'est le premier rhum Mexicain de ce style qui parvient jusqu'à nous et je me dis qu'avec ce genre de petits trésors, la planète rhum n'a pas fini de nous apporter son lot de bonnes surprises.
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(c) Francisco Terrazas |
Ce rhum de pur jus de canne est produit dans l'Etat d'
Oaxaca, au Sud du Mexique. Le lieu-dit Rio Tuerto (une centaine d'habitants), sur la commune d'Huautepec, se trouve dans la
Sierra Mazateca, un causse traversé par des gorges, connu pour sa forêt humide et ses nombreuses grottes. On y produit donc de la canne à sucre, mais aussi du café, du miel, le tout sans pesticides ni autre produit chimique. Cette région est essentiellement habitée par le peuple qui lui a donné son nom, les Mazatèques. Elle fut il y a quelques temps un lieu de "pèlerinage" mystique, notamment fréquenté par les hippies à la recherche d'un trip à base de champignons hallucinogènes, avant que les chamans ne décident de cesser ces échanges qui galvaudaient la spiritualité de leurs rites.
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(c) Carlos Cervantes |
Oaxaca est d'avantage connu comme berceau du
Mezcal. C'est d'ailleurs le sélectionneur des Mezcals Vago qui est à l'origine de ce Paranubes, qu'il a découvert lors de ses pérégrinations à la recherche du très tendance spiritueux d'Agave.
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(c) Carlos Cervantes |
D'ailleurs, cette boucle formée par le mezcal et le rhum est plutôt intéressante. Nombreux sont mes compatriotes amateurs de whisky et de rhum qui ont découvert le mezcal en se mettant en quête d'autres horizons spiritueux. À l'inverse, Kate du Rumba de Seattle me disait récemment qu'elle aiguillait régulièrement des amateurs de mezcal sur les rhums agricoles. Cela montre un intérêt grandissant pour les spiritueux authentiques, centrés sur la matière première, avec des profils marqués et une forte personnalité.
On ne peut que se réjouir du fait que des embouteilleurs d'autres alcools se mettent à sélectionner du rhum. Ils explorent comme ici de nouveaux territoires, avec de plus une philosophie et un palais différents qui vont la plupart du temps dans le sens de l'exigence. Les embouteilleurs de whisky le font déjà depuis longtemps, et l'embouteilleur de mezcal dont nous parlons aujourd'hui semble avoir un goût pour le terroir et les hommes qui le travaillent.
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(c) Carlos Cervantes |
Ce rhum de pur jus est appelé
aguardiente de caña au Mexique et dans les pays Hispanophones. Cette production autrefois très importante (plus du double du Mezcal à la fin du XIXème siècle) a progressivement diminué. On trouve encore beaucoup de petits alambics dans les campagnes, mais la canne à sucre est de plus en plus destinée à la
Panela (ou pain de vesou). On utilise ce pain de sucre en cuisine mais aussi pour une boisson très populaire faite de panela diluée avec de l'eau et du jus de citron vert (une sorte de ti-punch sans alcool !).
Le rhum Paranubes est produit par
Jose Luis Carrera, qui est issu d'une famille qui distille depuis plusieurs générations. Il cultive 4 espèces de canne à sucre, mais celle qui est majoritairement utilisée pour son rhum est la
Cana Criolla.
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(c) Carlos Cervantes |
Le
jus de canne pressé est mis en fermentation en
cuves de pin, sans adjonction d'eau ni de levure. On utilise une poignée d'écorce de
Mezquite (arbre de la famille du mimosa ou de l'acacia) bouillie ou quelques peaux d'ananas pour démarrer la fermentation qui va durer
48 heures. Cette durée est plutôt indicative car le procédé est assez particulier : on utilise une moitié de cuve pour la distillation le matin, puis on refait le niveau de cette cuve l'après-midi avec du jus frais, avant de laisser fermenter de nouveau pendant 48 heures. On "pioche" de cette manière dans chaque cuve l'une après l'autre. Cette
rotation fait que les cuves sont en fermentation ininterrompue et ne sont vidées que tous les quatre mois, la base de fermentation s'enrichissant ainsi constamment au fil du temps. Au départ, le moût obtenu est plutôt végétal, il va devenir plus riche et fruité tout au long de la campagne.
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(c) Carlos Cervantes |
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(c) Carlos Cervantes |
L'alambic (construit sur place) est une petite
colonne en cuivre à 6 plateaux dont la cuve est enterrée et chauffée à feu nu avec la bagasse. On obtient des eaux-de-vie à différents degrés selon la cuvée et notamment selon les proportions de têtes et de queues conservées. Elles sont en tout cas toujours embouteillées "
brut de colonne", sans réduction. Les villages alentours ont des goûts différents et des préférences en termes de degré d'alcool, et Jose Luis n'utilise aucun instrument de mesure, d'où ces variations. Pour le Paranubes, on a choisi d'embouteiller le rhum à 54% en faisant un
assemblage de ces différentes eaux-de-vie, toujours sans réduction.
Voyons donc ce que cela donne quelques kilomètres plus loin :)
Le nez est extrêmement moelleux d'emblée. Il s'en dégage quelque chose de cotonneux, un côté végétal très velouté. On pourrait penser à du maïs doux ou encore au cœur de palmier. Ce végétal est aussi herbacé, vert, mais pas dans le sens jeune ou amer. Il y a bien une fraîcheur de chlorophylle, oui, mais on est plutôt dans des aromates doucereux comme le basilic.
Là où la plupart des rhums agricoles des Antilles offrent une fraîcheur plus sèche et proche de la bagasse, ce rhum a plutôt conservé le caractère du jus fraîchement pressé, un peu épais, confit et trouble.
Les fruits exotiques très mûrs s'ajoutent également à cette impression de consistance et de velouté.
En passant le rhum sur les bords du verre, il devient plus vif, un peu plus sec et poivré. On ressent alors d'avantage le côté végétal presque boisé, sur l'écorce de la canne. Le profil se détend à nouveau, avec des notes de tomate cuite et sucrée (on m'avait soufflé des notes de ketchup, et c'est incroyable mais vrai). Quelques épices relèvent le tout, jusqu'à donner une impression de sauce barbecue. Tout en restant très gourmand, le rhum se teinte peu à peu de notes de fermentation de plus en plus prégnantes. On a maintenant autant de canne ronde que de notes lourdes et terreuses, de champignon, d'humus...
L'attaque en bouche est assez puissante, avec des notes terreuses, de la truffe et de l'olive noire crémeuse. Le rhum devient rapidement fondant et moelleux, avec un poivre savoureux et un cuir frais au grain léger. Les fruits exotiques très mûrs, comme la papaye par exemple, renchérissent sur cette texture gourmande. Nous avons maintenant un bonbon de canne fondante.
La finale est courte, des notes d'alcool annoncent un peu trop rapidement la fin de la fête. Restent un petit voile de poivre et une touche de résine en rétro-olfaction.
Cette expression de canne à sucre est tout à fait unique et originale, le nez est captivant de naturel et de personnalité, mais la bouche manque sans doute d'intensité et de concentration, ce qui mène inexorablement vers une finale que l'on oublie trop vite.
Le coup de cœur est confirmé malgré les lacunes en bouche, car le nez est simplement délicieux. L'exploration de ces eaux-de-vie de canne des quatre coins du monde est toujours intéressante quoi qu'il arrive, et cette friandise inattendue montre que dans le domaine, la curiosité est souvent récompensée.
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