samedi 2 décembre 2017

Mount Gilboa(s)

Le rhum Mount Gilboa était jusqu'ici une petite pépite seulement connue des amateurs curieux, sa faible distribution en France et sa bouteille old-school au look peu engageant y étant sans doute pour beaucoup. Mais il s'agit d'un rhum unique de par son procédé d'élaboration et son profil aromatique. Luca Gargano ne s'y est pas trompé car il a proposé en cette année 2017 deux versions de ce rhum, pour la gamme Habitation Velier puis pour fêter les 70 ans de la maison.
 
Mount Gilboa est l'ancien nom de la distillerie connue aujourd'hui sous le nom Rum Refinery of Mount Gay où sont produits les rhums éponymes. C'est la plus ancienne distillerie de rhum tel qu'on l'entend aujourd'hui (la distillation de tafia, guildive est antérieure à cela, mais il s'agit de la première installation "industrielle"). Elle daterait de la fin du XVIIème siècle, bien que le premier document faisant état d'une "Pot-Still house" date de 1703, quand même.
 
Elle appartenait à la famille Ward depuis le début du XXème siècle, avant d'être revendue au groupe Remy Cointreau en 2014 (le groupe était déjà propriétaire de la marque Mount Gay depuis 1989). C'est Frank Ward qui a démarré la production du rhum Mount Gilboa en 2007, cette production s'étant arrêtée en 2014 lorsque Frank a quitté la distillerie suite au rachat. Il a été pendant 10 ans (2007-2017) le président de la West Indies Rum & Spirits Producers Association (WIRSPA) qui a notamment développé le label ACR (Authentic Carribean Rum), un premier pas vers une plus grande exigence en termes d'authenticité et de qualité dans le monde du rhum.
 
Les Pot-Stills de la Rum Refinery of Mount Gay (c) Florent Beuchet
Le rhum Mount Gilboa est issu d'une triple distillation en Pot Still (alambic à repasse), un procédé rare dans le rhum qui entraîne un profil unique mettant l'accent sur les notes légères et fruitées. Il s'agit d'un rhum léger techniquement (chimiquement) parlant, mais pas forcément léger du point de vue aromatique. Oui je sais, c'est pas clair :) C'est-à-dire qu'il capture les composés les plus légers et volatils, par opposition aux arômes lourds que l'on trouve dans les rhums Jamaïcains par exemple, ce qui donne un distillat subtil et délicat. Voici comment ça fonctionne : la mélasse est fermentée jusqu'à obtenir un moût à 6% d'alcool, puis on fait une première passe dans l'alambic qui va sortir à 68%. On dilue le premier distillat avec de l'eau et on le repasse dans l'alambic d'où il sortira à 80%. On le dilue une nouvelle fois, puis on fait une dernière passe qui donnera un rhum à 80%.
 
Mount gilboa - 40%
Pure Single Rum

Vieilli 2 à 3 ans en ex-fûts de Bourbon de 190 Litres. 

(c) drinksupermarket.com
Le premier nez est léger, doux et sucré, avec de la vanille et des fruits rouges écrasés. Cette première impression n'est pas des plus engageantes, on pense à un bonbon, une sorte de sucre d'orge.
 
On commence à briser la surface du bonbon et on tombe sur un côté végétal assez rond, une paille confite, puis des agrumes sucrés eux-aussi mais à l'aspect naturel et un peu plus rafraîchissant (jus d'orange pressé, pelure de clémentine). 
 
Le sirop de vanille est toujours là et plombe l'envol d'un rhum dont les ailes sont un peu engluées. Pourtant les fruits sont prêts à décoller aussi, la mirabelle et la poire sont bien mûres. Le boisé est gourmand, caramélisé et beurré à la coco, quelques vapeurs de sucre chaud s'échappent comme près d'un stand de barbapapa. 
 
À l'aération, les fruits à coque et le solvant donnent un peu plus de vivacité au bois, il y perd son beurre de coco au passage. Le côté végétal se fait plus herbacé, un peu résineux et médicinal. La chair de la mirabelle et de l'abricot est un peu oxydée, on a gagné en complexité. Le sucre brûlé nous ramène enfin vers un classique trio caramel / mélasse / café. 
 
L'attaque en bouche est moyennement forte, le boisé caramélisé et vanillé est relevé d'une pointe de poivre et gagne en saveur grâce à une brève évocation de canne. La sensation est fluide, les fruits à coque sont légers et bien ordonnés. Malgré quelques épices douces, le manque d'intensité se fait vraiment sentir. 
 
La finale est simple, vanillée, avec quelques souvenirs de sucre roux et de coco. 
 
Last Ward 2007 - Habitation Velier - 59%
Pure single rum
 
Distillé en 2007, vieilli en ex-fûts de Bourbon, assemblé à partir de 19 fûts et mis en bouteille en 2017, brut de fût.
 
(c) rhumattitude.com
Le nez s'ouvre sur un boisé alléchant fait de coco, de sucre roux à la vanille et de caramel beurré. Ce bois est fondu et équilibré, miellé mais rafraîchi par une délicate eau de fleur d'oranger. 
 
Ce boisé se révèle être de plus en plus concentré, on entre dans quelque chose de plus profond. Les épices pour curry et les graines roussies introduisent des fruits exotiques légers, à la manière d'un whisky ou d'un rhum jamaïcain light. Ce mélange de papaye tempérée par la pomme est délicat et assez plaisant. Le boisé a maintenant pris toute son ampleur, son grain blanc recèle un trésor de coco / vanille / caramel / tabac toujours plus alléchant. 
 
En passant le rhum sur les bords du verre, attention au nez, on attendait pas autant de notes éthérées (d'alcool quoi, disons le). La tempête passe et dévoile un boisé plus précieux, épicé et végétal, ce qui nous emmène vers des notes plus végétales et un peu médicinales. Toujours dans les graines roussies, la badiane torréfiée se dessine plus précisément. S'en suit un très joli assemblage complexe d'eau-de-vie de prune, de noyau légèrement acide, de zeste d'agrumes et de fruits matures. 
 
L'attaque en bouche est puissante mais tout à fait agréable et enrobante. Elle étale grassement sa compotée poivrée de prunes et de coings tout justes oxydés. Le milieu de bouche est intense, avec une touche cuivrée et des notes de noyau et de pruneau. Le boisé est toasté mais pas brûlé, pas charbonneux, il est concentré à point, comme une sorte de caramel de bois. 
 
La finale est assez longue et exotique, avec des fruits mûrs, de l'amande douce et une pointe métallique ou fumée. 
 
Mount Gilboa 2008 - Velier 70ème anniversaire - 66%
Pure Single Rum
 
Distillé en 2008, assemblage de 3 ex-fûts de brandy français*, embouteillé brut de fût en 2017.
 
*eau-de-vie de vin comme le Cognac mais qui peut être additionnée de distillat de vin, distillé à très fort degré. C'est un spiritueux beaucoup produit en France mais peu consommé, il est plutôt réservé à l'export.
 
(c) rhumattitude.com
Le premier nez est sec et poudreux, avec pas mal d'alcool, de bois carbonisé et de fruits à coque torréfiés. Les fleurs séchées sont poussiéreuses, le rhum va avoir besoin d'un peu de temps pour s'ouvrir.
 
La surface est oxydée et un peu soufrée, mais déjà des notes sombres de noyau et de pruneau à l'eau-de-vie commencent à percer. La mélasse est reglissée mais aussi camphrée. Elle se détend sur une jolie sève de pin et sur un côté frais, mentholé et acide. La concentration est palpable, on va jusqu'à des notes de viande grillée et de Worcestershire. 
 
À l'aération, l'alcool est encadré par un zeste d'orange amère ou sanguine. Le côté végétal, frais et médicinal prend le relais du zeste et nous tient par la main jusqu'à des notes qui redeviennent à nouveau plus sombres. Un voile de solvant révèle des fruits noirs tanniques, des fruits rouges à la peau épaisse. Mais finalement la suite sera plus douce, on arrive dans le confort d'une pomme au four aux épices, d'une compote de fruits rustiques avec des accents de rancio. La réglisse cuivrée maintient le profil très sombre du rhum mais on sait maintenant qu'il ne se limite pas à cela. 
 
En bouche, l'attaque est étonnamment douce, l'astringence du bois toasté n'arrive pas immédiatement. Ce bois est bien grillé mais pas carbonisé, on retient plus sa saveur que sa texture. Le rhum monte lentement en puissance, stimulé par les épices, il atteint son sommet avec un jus reglissé parfumé de noyau, puis redescend tout aussi lentement pour atterrir sur un coussin gonflé de résine. 
 
La persistance en bouche sera végétale et médicale, mais pas forcément très chargée.
 
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Les dégustations ont été effectuées sur des bouteilles ou des samples déjà ouverts depuis plus ou moins longtemps. Le Mount Gilboa classique a toujours manqué d'intensité et il en a d'autant plus souffert cette fois ci, ses voisins étant plutôt bien taillés. Le Last Ward et le 2008 m'avaient semblé plus alcooleux à l'ouverture (respectivement de la bouteille et du sample) mais comme souvent les quelques centilitres d'air leur ont fait le plus grand bien.
 
Ces trois rhums sont finalement assez différents, les notes un peu médicinales étant sans doute leur seul point franchement commun. Mais il faut dire qu'ils sont assez peu comparables au départ. La version classique est très réduite et le 2008 a visiblement grandement profité de l'influence de l'ex-fût de brandy. Le Last Ward serait donc une expression plus fidèle au style Mount Gilboa.

Ce Last Ward montre de la justesse, de l'équilibre et de la délicatesse, ce qui correspond assez bien à la philosophie des rhums de la Barbade en général. 
Le Mount Gilboa classique manque cruellement d'intensité, il est un peu trop rondelet et manque de souffle.
Le 2008 des 70 ans de Velier a de la personnalité, une humeur assez sombre mais originale. Je l'ai beaucoup apprécié en bouche car je le qualifierais de "lent", c'est-à-dire qu'il monte et descend lentement et progressivement, on a vraiment le temps d'apprécier ce qui se passe.

 

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