samedi 3 février 2018

In nomine patris, et Filii, et Sancti Spiritus

La dégustation et la re-découverte récente de rhums de Cuba m'ont poussé à entreprendre des recherches sur les aguardientes, ces rhums qui sont utilisés dans le monde latino pour donner du caractère aux assemblages. Distillées en colonne aux alentours de 75% d'alcool, ces eaux-de-vie sont issues de mélasse, de sirop (miel) ou encore de pur jus de canne selon les producteurs. Elles sont mises en vieillissement, parfois pures, parfois avec différentes proportions de rhum léger, et constituent des bases que le maestro ronero utilisera pour équilibrer ses différentes cuvées. À l'heure où mes recherches piétinent un (tout petit) peu, j'ai souhaité vous présenter les rhums d'une distillerie particulièrement représentée chez les embouteilleurs indépendants mais dont on entend peu de retours : Sancti Spiritus.


Il s'agit en fait de la distillerie Paraiso, située à Tuinucù, dans la province de Sancti Spiritus à Cuba. La sucrerie qui a vu le jour en 1804 a commencé la distillation en 1944. Elle distille le miel de canne à différents degrés et surtout différentes concentrations :

- Le Rectificado est un rhum léger surtout réservé à l'export. Il est toutefois utilisé par des marques locales et pour la gamme propre de la distillerie, Santero.
- Le Fino, un alcool neutre, est utilisé pour des boissons alcoolisées diverses et des liqueurs.
- La Flema est un combustible à usage domestique.
- L'Aguardiente est utilisée comme "caldo" ("jus de canne") par les différents rhumiers du pays.

Paraiso compte notamment parmi ses clients, Havana Club (est-ce que son aguardiente a été utilisée pour le surprenant Reserva Limitada du géant Cubain ?), ainsi que Suchel Camaro, une boite de parfumerie et de cosmétiques.


La distillerie produit ses propres levures depuis 1957 et en commercialise une grande partie. Elle a également élaboré un système performant de récupération du gaz carbonique qu'elle vend aux producteurs locaux de boissons gazeuses.


Les rhums que je vous propose de déguster sont selon moi des aguardientes pures, ou au moins constituant la majorité de l'assemblage (sauf pour le Santero). Le petit côté agricole que l'on retrouve dans certains, ou encore les arômes plutôt lourds que l'on y décèle parfois, me laissent supposer que c'est le cas. De plus, l'embouteillage de Cadenhead's porte la marque ADC, ce qui vraisemblablement correspond à Aguardiente De Cana.
Ce qui est intéressant à comparer, c'est qu'au delà de leurs dates de "libération" distinctes, ils ont subi des traitements différents, avec des finishs et des réductions variables, toujours avec un vieillissement continental en majeure partie.

Santero - 7 ans - 38%

Il s'agit d'un assemblage de rhum léger et d'aguardiente, tous deux issus de cette même distillerie.

Au nez, les feuilles de tisane et les aromates semblent infusées dans un sirop de sucre. La menthe surnage dans ce mélange, bien sucrée elle-aussi, comme un chewing-gum à la chlorophylle. La vanille acidulée de fruits rouges cohabite avec des arômes lourds de fruits passés, c'est très épais et déjà un peu indigeste. Le boisé caramélisé est assez classique et légèrement poivré.
L'aération ne décolle pas le rhum de son côté sirop, on passe de la grenadine à la menthe, en passant par la violette. Seules quelques notes éthérées parviennent à s'envoler, sous formes de fleurs et d'éclaboussures d'agrumes. Une petite couche d'un miel d'automne bien sombre et riche vient enrober de nouveau le tout, de manière un peu plus élégante il faut le dire.

L'attaque en bouche est légère, ronde et vanillée. Le boisé et les fruits à coque sont pris dans une liqueur aux allures de sauce soja. Cette drôle de sauce nous offre à la fois un boisé humide et un charbon bien minéral, ainsi qu'un caramel épais mais acidulé. On ne comprend pas trop où cela nous mène, d'autant que ce n'est pas franchement agréable. Heureusement, un pruneau et ses accents de noyau viennent nous délivrer. 

La finale, quant-à elle, est plutôt agréable et doucement savoureuse, avec des arômes très pâtissiers de raisins secs au rhum.

On commence assez mal avec ce bonbon écœurant et doucereux.

Bristol - Fine Cuban Rum - Sherry Finish - 43%

13 ans de vieillissement pour ce rhum distillé en 2003 et embouteillé en 2016.

Dès le début, les notes du Sherry (PX sans doute) donnent le ton. Le boisé fortement toasté, voire bien carbonisé, porte des notes de noix et d'oxydation. Le rhum se fait plutôt discret pour l'instant. L'ensemble est légèrement cuivré mais surtout très gourmand, avec un pruneau bien charnu et des noix de pécan caramélisées.
Avec le temps et l'aération, on passe (difficilement) au dessus du Sherry pour trouver le bois humide gorgé de sauce soja, de caramel et de mélasse. La noix est assez jolie et son côté sec rassemble un peu le rhum, ce qui lui permet de ce concentrer sur une petite olive confite bien inspirante. Il y a quelque chose d'animal qui se trame dans cette cuisine, comme un déglaçage de sucs de viande avec du Madère. Le caramel qui en ressort est bien concentré, il s'adjoint les services des épices, du café et de la réglisse pour jouer à jeu égal avec le Sherry.

La bouche est ronde mais plutôt chargée. Le pruneau et la noix lancent la première vague, puis le profil se resserre sur le toffee, le café, la mélasse réglissée et le bois fortement toasté. Le caramel mêlé de sauce soja est fondu et sucré, assez doucereux. On passe ensuite à une phase plus piquante, avec un chocolat noir au piment, avant que le pruneau à l'eau-de-vie ne se déverse tout en suavité, mais non sans élégance. 

En finale, le fût grillé et la noix s'accrochent à la langue, tout comme le café et la mélasse.

Quelqu'un a vraiment eu la main lourde sur le Sherry, on se rapproche plus d'un Dos Maderas que d'un rhum Cubain.

Compagnie des Indes - Cuba - Sancti Spiritus - 45%

Issu du fût n°CSS11, ce rhum de 18 ans a été distillé en 1999 et mis en bouteille en 2017.

Que de gourmandise dans ce nez ample et riche ! La pâte d'amande beurrée, bien pâtissière, évoque la frangipane, et le jus de canne réduit au miel a conservé une pointe d'agrume qui garde le rhum sur le fil. Cette année, on a mis une bonne lampée de Calva dans la galette des rois. Encore chaude, elle diffuse des arômes de pomme rustique. Dans cette générosité, les épices et un côté végétal amènent une jolie complexité. Les fruits mûrs sont chargés et suintants, la mirabelle et les raisins sont collants. La mangue et l'ananas apportent une épaisseur très tropicale, tout comme la feuille d'un tabac bien gras.
Avec l'aération, l'alcool ressort en cerises et framboises acidulées, le rhum renchérit alors en gourmandise. Toujours dans le registre de la pâtisserie, nous avons une crème fouettée à la vanille où l'on aurait jeté quelques cerises amarena, alors que le miel se fait plus végétal et résineux. La pomme et le Calva sont toujours là, les épices aussi, la canne a conservé un aspect naturel qui fait tout l'équilibre.

En bouche, la pomme à cidre et le Calva cohabitent avec d'autres fruits beaucoup plus exotiques et veloutés. La prune et le pruneau sont gorgés d'eau-de-vie, leur noyau transparait et caresse un boisé plus caractériel. Les fruits sont compotés, confiturés, comme cuits et réduits dans une marmite en cuivre. La pâte d'amande assure la mâche, sa chair grasse et poudreuse à la fois recèle des saveurs de cerise confite.

En finale, la gourmandise de la cerise et de son noyau nous tiennent un moment, avec un voile fumé et cuivré qui leur donne une allure certaine.

Énormément de gourmandise pour ce rhum bien différent de ce que l'on peut trouver habituellement à Cuba, le tout sans verser dans le sucre et la confiserie.

The Whisky Agency / LMDW - Sancti Spiritus - 51,3%

Un single cask de 18 ans, distillé en 1998 et embouteillé en 2016. 
(note déjà publiée dans un précédent article)

Le nez est assez fin dans les premiers instants, avec des arômes de sucre de canne et une touche de vin blanc au sein de laquelle des fruits exotiques mûrs et des fleurs blanches vont bientôt se développer. Pendant ce temps le profil s'alourdit, on a de l'olive noire, de la résine, du bois. Les épices et les raisins secs viennent apporter un aspect profond et pâtissier.
L'aération permettra d'aller plus loin dans la lourdeur et la complexité, on arrive sur un profil qui évoque le whisky, avec un côté fumé et animal, puis toasté. On reste toutefois dans l'exotisme avec des fruits très mûrs, voire fermentés.

La bouche est intense et bien pleine, avec des fruits qui s'écrasent et s'étalent sur les papilles. Très vite, ces papilles se resserrent sur une petite pointe salée et fumée. Le registre de la fermentation prend lui aussi sa place à grands renforts de raisins secs et d'olive. Les fruits noirs comme la mûre ou le cassis marquent la fin de l'assaut.

La finale est longue et gourmande, avec des arômes sombres mais sucrés de pruneau et de réglisse, et une petite pointe métallique.

Les amateurs de whisky ou de rhums lourds et chargés y trouveront leur compte, un gros coup de cœur pour ma part !

Cadenhead's - Sancti Spiritus ADC - 59,2%

Mis en fût fin 1998, il a été embouteillé début 2013, soit 14 années pleines.

(c) whisky auctioneer
Le nez s’ouvre sur les arômes typiques d’un rhum latino. Plutôt léger, il est en équilibre entre la vanille, le boisé légèrement caramélisé et le tabac. Très vite, le grain d’un petit cuir attire notre attention et nous emmène vers des notes plus sombres et tanniques. Les fruits mûrs commencent à gonfler, à se gorger de soleil et de sucre (pomme, mirabelle, raisin). Retour en Amérique du Sud avec la vanille et un drôle de caramel un peu acidulé, puis virage à 180 degrés avec une canne qui fleure bon le rhum agricole.
Le rhum fait un petit tour sur les bords du verre, et sa fine pellicule soulève une poignée d’épices, ainsi qu'une bonne bouffée d'alcool. Les fruits sont d'abord acidulés (pomme, petits fruits rouges frais), avant de se faire plus épais et veloutés (mangue et goyave très mûres). Le rhum a maintenant gagné toute son ampleur, à l’image d'un miel riche et rayonnant. L'essence de bois exotique passé à l’encaustique développe des arômes de pain d’épices, puis se tourne vers quelque chose de rustique, fermier, entre l’Armagnac et le Calvados. Cette touche plus sauvage revient à un cuir frais puissant et entêtant.

En bouche, une belle attaque vive et savoureuse, avec une sensation très proche du rhum agricole, sauf que, sensation inédite pour ma part, la canne semble fumée. Les fruits exotiques moelleux fricotent avec le cuir et l'amande, le tableau est bien complet. Le drôle de caramel acidulé fait son retour, il n’était pas obligé… Malgré ce faux pas, notons que l'impression n'est ni trop grasse, ni sucrée. Lorsque le rhum a bien pris possession des papilles, le pruneau et les tanins de fruits noirs font preuve d'une gourmandise raffinée, encadrée par l'amande amère qui insiste sur le sérieux de l'expérience.

La finale se poursuit sur cette amande amère, puis le poivre noir introduit un léger côté minéral et pointu, aussitôt balancé par la rondeur des fruits et de la vanille.

Ce rhum a certes des défauts, notamment un caramel un peu étrange, mais son attaque en bouche est délicieuse et son profil est riche et varié.

Crédits photos : Rhum Attitude
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Voilà pour ce petit tour d'horizon assez varié. Les rhums de cette distillerie ont été beaucoup travaillés par les IB, surtout le millésime 1998. Le millésime 1999 suit semble t'il le même chemin.
Comme trop souvent malheureusement, on constate que l'embouteilleur officiel massacre totalement le potentiel de ses produits. 
Ces rhums, bien qu'aromatiques, restent plutôt fins et délicats, ils ne supportent pas de finitions grossières mais profitent en revanche d'une dilution minimale. Je vous conseillerais de viser les embouteillages les moins réduits possibles.



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