Manutea Tahiti est née de l'usine de Jus de fruits Moorea qui produit les jus Rotui (du nom d'une montagne de Moorea). Cette distillerie sortie de terre en 1983 produit des liqueurs et eaux-de-vie de fruits, des vins d'ananas, ainsi que du rhum de mélasse depuis le début des années 1990. Ce rhum issu d'une double distillation et vieilli en fût de chêne entre dans la composition de rhums-ananas ou de rhums-vanille. La distillerie a commencé à travailler le pur jus de canne en 2015.
Mont Rotui - (c)Daniel Julie |
L'histoire des rhums Manutea est avant tout liée à celle de la canne O'Tahiti. Cette variété originelle n'ayant subi aucune hybridation est un élément constituant du terroir Tahitien, les premières cannes y ayant été implantées aux alentours de l'an 500. Remarquée pour sa robustesse et son rendement, elle a été exportée en 1768 par Bougainville, d'abord vers l'île Maurice et la Réunion, puis vers le continent Américain. Les anglais comme Cook et Bligh l'ont quant-à eux implantée dans les colonies Anglaises et notamment la Jamaïque. Continuant de se propager, elle est arrivée en 1796 au Brésil, puis en 1843 à Hawaï, si bien qu'elle a été la principale variété de canne à sucre cultivée dans le monde entre 1820 et 1850.
Les colons Français n'ont pas tout de suite suivi le mouvement, comme le déplore l'auteur d'un mémoire paru dans La décade philosophique,
littéraire et politique en 1799. Pourtant les rapports venant de Guadeloupe signalaient une canne résistante (notamment aux vents), qui arrive plus vite à maturité que la canne créole, ce qui permettait davantage de récoltes, et donc au final plus de sucre. Le sucre produit était en outre de plus belle facture et moins coloré. Les seuls reproches qui lui étaient faits sont une moindre abondance de paille servant de combustible pour les chaudières et un épuisement des sols plus important. S'adaptant à toutes les conditions et même aux sols médiocres, elle a prospéré à Antigua, en Jamaïque ou sur l'île New Providence des Bahamas (décrite comme un véritable repaire de pirates). Il en est de même en Martinique, qui était Anglaise à cette époque (1794-1802). L'auteur plaide donc pour une implantation à Saint Domingue, et cet ancêtre des hipsters précise même qu'elle est très pauvre en gluten !
En 1809, le Dictionnaire Raisonné et Universel d’Agriculture reprend les arguments d'une canne plus hâtive et sucrée, tout en nuançant cependant les rendements énoncés dans l'ouvrage précédent. Ce texte mentionne en revanche un handicap qui fait que Cuba l'abandonnera au début du XIXème siècle : si la canne O'Tahiti donnait un beau sucre
régulier et délicat, celui-ci était léger et fragile au transport. Il prenait aussi plus de volume dans le
fret du fait de l'agencement de ses plus gros grains. Enfin, cette variété permettait une production plus abondante de sucre, mais celui-ci semblait intrinsèquement moins sucrant. Tout cela fait qu'elle se prêtait finalement moins bien aux contraintes logistiques et commerciales que la canne créole, qui finirait par reprendre sa place dans la plupart des colonies, suivie par des variétés hybrides plus résistantes aux maladies et encore plus productives.
Manutea tient à préserver la naturalité et la qualité du terroir polynésien et à proposer
une expérience nouvelle aux amateurs de rhum. C'est pour cela que la distillerie a choisi de mettre en valeur cette variété originelle. Il est selon eux plus intéressant de
montrer la diversité de cette eau-de-vie plutôt que de vouloir
reproduire ce qui se fait ailleurs. On se rend compte que cette notion de terroir est d'autant plus importante pour les rhums de pur jus, et que c'est justement cette diversité qui fait tout le charme du rhum, donc j'adhère à 100%.
La distillerie travaille d’ailleurs sur un cahier des charges en vue de l’obtention d’une indication géographique où les variétés de canne à sucre transgéniques seront interdites.
Pour les rhums qui nous intéressent aujourd'hui, ils travaillent avec des producteurs de canne de l'île de Tahaa, près de Bora Bora. La coupe et la récolte se font à la main entre août et octobre ; la canne est pressée et mise en fermentation sur place sans adjonction d'eau, durant 36 à 48 heures. Le vesou est ensuite transporté en goélette vers la distillerie de Moorea (à 200km soit environ 110 milles marins). La distillation discontinue se fait dans un alambic Holstein d'une capacité de 2500L, avec une colonne de rectification de 11 plateaux, d'où s'écoule une eau-de-vie titrant entre 80 et 85% d'alcool.
Le rhum bénéficie de 3 mois de repos, d'aération et de réduction à l'aide de l'eau du Mont Rotui.
Un rhum Élevé Sous Bois est déjà disponible en Polynésie. Il passe 15 mois en ex-fûts de Bourbon de la distillerie Heaven Hill du Kentucky. Un premier rhum vieux devrait être embouteillé fin 2018. Notons que la part des anges sur Moorea s'élève à 7% par an environ.
J'ai goûté pour la première fois les deux rhums blancs lors du dernier salon Dugas, et ce fut un véritable coup de cœur. Ces eaux-de-vie de canne sont d'un naturel renversant, et seraient à ranger dans la famille du Sublim' Canne de la Réunion par exemple.
Manutea - Blanc - 40%
Pure Single Agricole Rum
Le nez est immédiatement agréable et confortable, avec une canne à la fois fraîche et ronde. Elle est tendre et son jus moelleux offre des arômes de marron glacé ou de cœur d'artichaut à la vapeur. Le poivre et le citron vert apportent ce qu'il faut de relief et de fraîcheur à ce registre confit, sans chatouiller les narines.
En passant le rhum sur les bords du verre, la canne se complète d'un côté herbacé plus frais et prend toute son ampleur, elle semble parfaite à cet instant. Le zeste de citron ouvre la voie aux fruits exotiques charnus soutenus par une touche d'olive et de citron confit au sel. La bagasse sèche et poivrée donne un peu plus d'accroche et nous emmène vers les épices. L'ensemble est très gourmand mais les notes plus aériennes de fleurs et de litchi gardent le nez suspendu à quelque chose de léger, gai et printanier.
En bouche, l'entrée en matière est douce, avec un jus de canne moelleux que l'on imagine trouble et laiteux. Cette sensation d'épaisseur est relevée par une amertume de zeste de citron vert qui entame une montée en puissance accompagnée de poivre, avec une petite pointe d'alcool.
La finale poursuit cette incursion poivrée dans la fibre de la canne, avec une bagasse encore gorgée de jus. Le rhum et ses saveurs de sucre de canne reste longtemps en bouche.
Manutea - Blanc - 50%
Pure Single Agricole Rhum
Au nez, la canne rayonne de tous côtés et se déploie avec générosité. Elle s'étale en largeur, inspirée, sans être polluée ni réfrénée. Elle montre un côté floral, végétal et frais, avec des aromates comme le basilic citron, puis des notes de fermentation très parfumées tirant vers les fruits mûrs, sans acidité ni arômes de légumes. La bagasse confite est mêlée de poivre et d'épices douces.
En aérant un peu le rhum, on note une petite touche cuivrée, puis la canne reprend tous ses droits avec une fibre fine et soyeuse. Le marron glacé est à son aise dans ce tissage délicat, le sucre de canne également, on est à l'heure de la grâce et de la caresse. On ne s'ennuie pas pour autant car le citron jaune envoie quelques grains de sa pulpe et laisse ainsi le rhum se gonfler d'eaux-de-vie de fruits aussi divers qu'exotiques.
En bouche, on se retrouve avec une belle bulle de canne qui éclate et déverse un rhum intense mais rond qui enveloppe le palais. Les saveurs sont aussi soyeuses qu'au nez, on retrouve le poivre, les notes douces de fermentation, le côté végétal et moelleux d'un cœur d'artichaut sucré. Le rhum gagne à nouveau en ampleur et en envergure avec des eaux-de-vie de fruits exotiques finement sculptées par la réglisse et l'anis.
La finale apposera définitivement cette signature de réglisse et d'anis, ces notes accompagnant tranquillement la canne et les fruits exotiques pendant un bon moment.
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Les deux versions sont assez différentes mais complémentaires. Le rhum à 40% a un nez incroyable de naturel. Toute la canne est là, traitée avec douceur et délicatesse, c'est une eau-de-vie très fine et très juste. Le rhum à 50% est plus "rhum" car il apporte, au delà d'un petit coup de pied aux fesses, davantage de fraîcheur et une présence plus affirmée.
La signature anis / réglisse serait-elle une particularité de la canne O'Tahiti ? En tout cas le rhum Mana'o de la même région propose les mêmes notes, et de manière encore plus évidente selon moi, ce qui me permet de poser cette question.
Dans tous les cas, je crois que la distillation discontinue réussit bien aux rhums de pur jus, ou tout au moins me plait personnellement beaucoup. En effet je m'aperçois que ces rhums, aux côtés des PMG, Issan, Sublim' Canne, Clairins, Paranubes etc, font vraiment partie de mes rhums blancs préférés.
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