mardi 5 juin 2018

Madère : William Hinton Rum

Toutes les photos sont (c)Engenho Novo Da Madeira
Alors oui je sais, il s'agit déjà du troisième article sur les rhums de Madère, après une brève présentation historique et géographique, puis une dégustation de rhums divers et variés. Mais comme prévu, l'Engenho Novo, distillerie du sud de l'île, était présent au Rhum Fest Paris avec une toute nouvelle gamme au complet. Et comme prévu (c'était une des rares choses que j'avais prévues dans ce Rhum Fest d'ailleurs), je les ai tous dégustés (et re-dégustés tranquillement à la maison), histoire de vous défricher un peu l'histoire.

Avant d'être un grand nom du Rhum, William Hinton (1817-1904) a été un très grand nom du sucre. Cet Anglais est arrivé à Madère en 1838, attiré comme tous ses compatriotes par un climat clément, mais aussi par des opportunités commerciales. Il a d'abord dirigé des affaires dans les domaines de la vannerie et de la banane, avant de mettre sur pied la Fabrica do Torreão, autrement appelée l'engenho ("moulin à vapeur") Hinton, en 1845.

Cette technologie récente lui a tout de suite permis de prendre une place importante sur le marché du sucre, et le rhum coulant de son alambic a lui-aussi connu un certain succès. Pourtant, outre son statut de notable, William Hinton ne jouissait pas d'une réputation des plus reluisantes auprès des Madériens. D'une part, il a rapidement absorbé l'intégralité des volumes de canne des alentours, étouffant ainsi ses concurrents, mais d'autre part il s'est "inspiré" de toutes les innovations de ces deniers, pour finalement s'en arroger tout le crédit.

A la fin du XIXème siècle, son fils Harry lui a succédé à la tête de l'entreprise, et tout comme lui, ce dernier devint une figure de l'île. Très impliqué dans la culture locale, il a notamment nourri les musées de ses plus belles pièces. En modernisant encore les méthodes de production, il permit à l'engenho d'être le principal acteur du sucre (et du rhum, avec l'introduction de la colonne) de Madère au début du XXème siècle, avec 230 employés. Pour aller encore plus loin, il a réussi à imposer dans la filière sucrière des règles si strictes que lui seul pouvait suivre, ce qui aboutit à un monopole en 1929. D'autres distilleries continuaient cependant à produire du rhum agricole, mais les sautes d'humeur des législateurs ont aussi eu raison de la plupart d'entre-elles.

L'engenho Hinton a continué de tourner jusqu'en 1976, avant de fermer ses portes en 1986, devant un marché du sucre Madérien à l'agonie. Quelques distilleries ont continué à faire du rhum après cela, et puis les héritiers de Hinton ont décidé de restaurer et de relancer la vieille colonne en cuivre en 2006. Dans un premier temps, la distillerie ressuscitée a embouteillé une aguardente de cana au nom de l'Engenho Novo Da Madeira, puis une marque invoquant le nom de l'illustre aïeul a été lancée il y a peu.


Les rhums

Après un premier blanc et un petit 3 ans honnêtes mais dispensables ("réservés à la mixologie" comme on dit), voici une armada de 7 rhums qui composent une gamme déjà bien complète.

Ce sont tous des rhums agricoles, donc de pur jus de canne. On a sélectionné des variétés qui offraient un compromis intéressant entre résistance aux maladies, rendement en sucre et productivité suffisante pour que les planteurs s'y retrouvent. L'une d'elles est une ancienne variété née à Java, l'autre est le résultat de croisements de cannes originaires d'Inde.


La fermentation du jus est rapide, autour de 24 heures, elle se fait dans des cuves de 10.000 Litres, à température contrôlée.


Le rhum s'écoule d'une la colonne en cuivre à 8 plateaux et titre entre 69 et 78%.

Pour la gamme de rhums vieux dont nous allons parler, le rhum est issu de la récolte 2009. Il a été mis en vieillissement pendant 6 ans dans des fûts de chêne Français ayant contenu du vin rouge, avec la bonification d'un très vieux rhum datant de l'ancienne distillerie fermée en 1986. L'assemblage est dispersé dans différents types de fûts ayant contenu du Madère, du Sherry, du Brandy, du Bourbon ou du Porto. Il y reste 9 mois, puis on assemble ces différentes finitions pour le produit final.


La gamme des Single Casks est une série de fûts uniques embouteillés avant l'assemblage final, afin de mettre en avant chaque type de fût, chaque élément qui compose le 6 ans "classique".

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Commençons si vous le voulez bien par un petit rhum blanc, un brut de colonne issu d'une fermentation spontanée, c'est-à-dire sans levures ajoutées, simplement à l'aide des micro-organismes présents dans l'environnement. 

Natural White Rum - 69%
Rhum Agricole
Le premier nez bouscule avec de forts arômes de chaudière, un côté très métallique et industriel assorti d’une acidité assez tranchante. De cette acidité naissent naturellement quelques notes d’agrumes fraîchement éclaboussées, ainsi que des fruits rouges comme la groseille. 
Avec un peu d’air, les fruits acidulés tentent de prendre le pas sur le métal chauffé. C’est à grands renforts de framboise, de groseille, de cassis et enfin de menthol, que la canne trouve une fenêtre de tir avec un zeste de combava, du poivre, et une pointe d’olive noire. 

L’attaque en bouche est ample et surprenante car très acidulée. Les notes un peu dures et métalliques laissent place à l’eau de rose ou au litchi. La puissance est raisonnable, mais les notes d’alcool ont du mal à se faire oublier. Le poivre joue aussi un rôle important, il est sec au point d’être un peu minéral, mais surtout il ouvre la voie à la canne et à la bagasse. 

La finale est assez courte, sur un petit jus acidulé et sur le vesou fermenté. 

6 ans - 40%
Rhum Agricole

Au nez, on est face à un profil immédiatement très ouvert, plutôt végétal, avec un boisé doucement épicé qui rappelle les cachaças vieillies. La canne est douce et miellée, elle se parfume même de quelques touches gourmandes d’amande douce. 
Le temps aura tendance a affirmer le boisé, dans un registre typique des rhums vieux de Madère (commun en partie aux Rhum Rhum Libération) fait de tabac blond, de thé noir et de levure. On perçoit l’élégance d’un noyau de cerise, ainsi qu’une canne encore bien tendre, conservée par son solide écrin de chêne. 

La bouche est douce, discrète à l’attaque, et bien savoureuse par la suite. Le boisé gourmand enrobe la bouche d’un coton vanillé imbibé de thé, de canne tendre, de brioche et de tabac. Le poivre entretient un peu le plaisir, puis le bois se fait plus vieux et sombre. 

La finale offre un sirop d’érable au boisé caramélisé, avec de la vanille et une sensation un peu sucrée. 


Madeira Single Cask - 6 ans - 42%
Rhum Agricole 
Au nez, le bois est présent et revêt un air assez sérieux. Plutôt sombre, il n’exprime pas sa fibre blanche et fraîche, mais plutôt des tanins de fruits noirs et des épices roussies. La canne se voit rejointe par les fruits séchés pour un côté typiquement agricole, tandis que des éclats de silex planent au-dessus du verre. 
L’aération fait ressortir un côté vineux, avec également beaucoup d’épices (et un peu de café) qui donnent un petit grain, et donc une certaine texture. Le jus de canne nous apparaît ici sous sa forme cuite, avec sa mélasse réglissée et son sucre encore gras, façon muscovado. 

L’entrée en bouche est sèche, le rhum accroche les parois avec ses tanins et tient l’étreinte un bon moment. Son cœur est plutôt léger et dilué car la sensation d’amplitude ne vient malheureusement pas. Le boisé typique de cette gamme est bien présent, en moins gonflé et moins concentré. 

La finale est assez courte également, un peu chocolatée, avec un rhum blanc de pur jus de canne en fond. 


Spanish Fortified Wine Single Cask (Sherry) - 6 ans - 42%
Rhum Agricole

Le nez est doux et feutré, sur la retenue, avec un voile de vanille qui se lève rapidement sur un gros sirop de fruits. Finie la discrétion, ce concentré de fruits sucrés emporte avec lui des notes rustiques de fermentation, du miel, de la viande fumée… Bref, il a bien du mal à contenir la machine qui s’emballe en arrière-plan. 
Le temps ne fait rien à l’affaire, le rhum a du mal à se calmer et envoie des notes sauvages dans tous les sens. Les notes de vinaigre côtoient alors un côté animal, une concentration plutôt lactique, et une pâte bien grasse de fruits à coques torréfiés. 

En bouche, le rhum attaque d’entrée de jeu avec un côté animal et de fortes notes vinaigrées. Le boisé est astringent et sec. Les saveurs de fruits séchés et de boisé au thé noir s’installent ensuite, alors que l’on est encore secoué par l’entrée en matière. 

La finale conserve quelques notes de vinaigre sur un profil boisé au tabac et au thé. 


Brandy Single Cask - 6 ans - 42%
Rhum Agricole
Le nez est tout d’abord un peu oxydé, avec un boisé bien grillé et assez sec. Le profil est assez fin, discret et délicat. Il s’ouvre sur une canne fraîche, encore humide de rosée, puis sur des fleurs toutes aussi fraîches mais veloutées à la fois. Le rhum gagne en assurance et exhale maintenant sans retenue des arômes de pomme et de poire cuites. 
Le temps recentre le rhum sur un boisé mature, avec une bonne présence, qui sait se montrer moelleux mais aussi intense et concentré. Il continuera de s’appliquer sur cette voie, passant en revue ses atouts comme le miel, le tabac, les épices. 

L’attaque en bouche est équilibrée, quoiqu’un peu douce. Les épices accrochent la langue et les papilles avec un toucher presque terreux, ce qui apporte un côté un peu rustique assez intéressant. Le boisé monopolise rapidement l’attention, il est plutôt sec, avec du tabac, des noisettes, et un toastage prononcé. 

La finale est avant tout marquée par ce toucher assez sec et poudreux qui donne du relief mais qui ne permet pas vraiment au rhum de s’étaler. 


Portuguese Fortified Wine Single Cask (Porto) - 6 ans - 42%
Rhum Agricole

Au nez, des tanins de fruits noirs cohabitent avec une canne assez ample. Les épices vont et viennent entre ces deux pôles, comme pour essayer de les réunir. Quelques pointes un peu métalliques et/ou brûlées surviennent par intermittence, les tanins fondus de chêne et les fruits séchés viennent les étouffer à chaque fois. 
En passant le rhum sur les bords du verre, les épices crépitent un peu plus mais restent tout à fait équilibrées. La gourmandise est de mise, sans facilité ni trop grande rondeur, mais plutôt avec des fruits séchés bien charnus, un boisé doux et végétal, de l’amande douce et du tabac. 

En bouche, le rhum se présente bien droit et bien plein, aussi sec qu’intense et savoureux. Il éveille les papilles avec ses notes rustiques et son toucher asséchant, mais sans oublier au même moment de déployer des fruits séchés encore bien gonflés, épicés à souhait, puis un boisé fondu et gourmand façon Madère, c’est-à-dire avec du thé noir, du tabac, de la levure, et du muscovado en prime. 

La finale se déroule justement sur le sucre muscovado, pour se terminer sur un sucre de canne plus blond et léger. 


Whisky Single Cask (Bourbon) - 6 ans - 42%
Rhum Agricole
Au nez, pouvoir de la suggestion ou pas, il semble que l’on ait une certaine rondeur de céréale maltée dans les tous premiers instants. Puis on arrive vite sur une canne assez naturelle, légèrement acidulée par le citron et subtilement arrondie par des fruits séchés tout en mesure. 
Le temps et l’air viennent consacrer cette canne naturelle, bien gourmande et tendre. Le boisé se fait très discret, exceptées quelques incursions de cire encaustique et de fruits à coque. Ce nez est fin, équilibré, le boisé prendra peu à peu de l’importance sans briser la balance. 

La bouche est équilibrée aussi bien du point de vue des arômes que de la force ou de la tenue. Elle développe un registre végétal plutôt gourmand, avec une canne tendre qui se mêle au tabac blond vanillé, sans pour autant tomber dans une épaisseur sucrée. Le boisé est gourmand lui-aussi mais sans s’imposer, il préfère développer une légère rumeur pâtissière. 

La finale est douce, un peu crémeuse, avec un boisé végétal et tendre.

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En conclusion, j'ai trouvé le rhum blanc franchement dur et citronné, ce qui ne correspond pas à mes préférences. Le 6 ans est savoureux mais un peu trop doux, et ma préférence dans la gamme des Single Casks va nettement au Porto (bien équilibré) et au Bourbon (pour sa mise en valeur de la canne).

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